Bonjour
Le peintre hors la loi est une bien belle BD, écrite et dessinée par Duchazeau.
Lazare Bruandet est un peintre quelque peu marginal, ne vivant que pour son art, traumatisé durant son enfance par le meurtre de sa mère par des soldats, et s’érigent en justicier et défenseur des faibles dans une époque troublée, celle de la révolution française.
Lazare Bruandet a bien existé et le scénario relate fidèlement sa vie (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lazare_Bruandet). Comme Youri Jivago dans le roman éponyme, nous vivons les tourments de la Convention, non du point de vue des puissants ou des historiens mais à travers le regard de simples citoyens. Et c’est là le premier mérite de l’œuvre. Prenant de la distance avec la doctrine Michelet qui a modelé le regard des français sur leur passé, Duchazeau ose évoquer la souffrance du peuple, ses déchirures entre républicains et royalistes, et surtout la misère causée par les innombrables conflits et exactions. La révolution est ici source d’inquiétude, d’appauvrissement et surtout de danger permanent, face à des milices autoproclamées ou à des bandes organisées, qui ne visent que l’enrichissement personnel. Le choix des moines du prieuré Notre-Dame de Franchard est à ce titre révélatrice de la désespérance des gens ordinaires. La montée des périls les contraint à abandonner leur pacifisme et à s'armer. La loi pilier d’une société n’existe plus et seul l’individualisme assure la survie de tout un chacun.
Notons à ce sujet l'habileté du scénario qui alterne les tensions (Paris, les combats et autres duels) et les détentes (la forêt, le prieuré), rendant plus supportable le spectacle désolant de violence de la Révolution.
Le deuxième thème de la BD est celui de l’artiste maudit. Nous suivons le parcours solitaire et intègre(iste) d’un peintre doué, tout entier à ses toiles. Vous avez dit Van Gogh ? Le scénario va d'ailleurs plus loin puisqu'il essaie d’expliquer la cause de cette marginalité. Tel un psychanalyste, Duchazeau nous plonge dans l’enfance de son héros pour mieux nous expliquer son caractère entier, sa générosité donquichottesque comme sa violence meurtrière.
Bruandet, en se cachant dans la forêt de Fontainebleau et en la représentant dans ses toiles, s'inscrit dans la lignée des paysagistes hollandais et surtout préfigure l’école de Barbizon (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Barbizon). Aussi Duchazeau profite de ce décor idyllique et romantique pour nous offrir de superbes vignettes, de magnifiques paysages appelants au rêve et à une immersion dans une nature protectrice et réparatrice.
Jacob Van Ruisdael - Marécage boisé (1665) - Saint-Pétersbourg - Musée de l'Ermitage
Lazare Bruandet - Paysage avec chasseurs (date inconnue) - Dijon, musée MagninThéodore Rousseau - Chênes à Apremont (1852) - Paris, musée d'OrsayLes personnages ne sont pas en reste et les visages sont aussi merveilleusement expressifs, que ce soit celui égaré, presque fou, du peintre, ou celui plus réfléchi, plus posé, de son ami, Bertaux.
Pour finir, je recommande vivement cette BD. Elle est un peu sombre (le féminicide de l’épouse de Bruandet) mais dépeint avec justesse, sensibilité et talent la vie d’un artiste et d’une époque. C’est clairement une grande œuvre que seuls ma sensibilité et mes goûts empêchent d’élever au statut de chef d’œuvre.
Eléanore