Michel Kichka est un dessinateur belge qui a émigré en Israël il y a une trentaine d'années. Il a publié deux albums en France au cours des années 2000, et ils sont assez originaux. Je pense que l'on peut admettre que ses travaux sont des "BD
israéliennes", même si Kichka était au départ plutôt un auteur européen.
Voilà ce que j'écrivais il y a quelques années dans la rubrique "Je viens de lire" au sujet de son album
Deuxième Génération, qui est vraiment très original.
La lecture de la semaine est un livre que personne n'attendais. Il s'intitule "
Deuxième génération" et est dessiné par Michel Kichka. L'auteur est un juif né en Belgique, qui connait donc fort bien la BD, et qui est parti vivre à Jérusalem où il travaille comme caricaturiste.
La "deuxième génération", ce sont les enfants des rescapés de la Shoah. Ils vivent avec le poids des souvenirs de leurs parents, et ne peuvent pas vivre normalement leurs révoltes d'enfants ou d'adolescents. Le père de Michel Kichka est en fait une sorte de tyran psychologique. Malgré son apparence effacée et sa silhouette souffreteuse, ce dernier écrase impitoyablement ses enfants (et la plupart de leurs moments de vie) par le poids et la gravité de ses souvenirs.
Face à un tel père, tout dialogue et toute révolte deviennent impossibles. Les enfants sont écrasés par les souvenirs paternels et lorsque l'un d'entre eux se suicide, c'est encore l'histoire de la shoah qui envahit la soirée de la "shiva" (la shiva étant une sorte de veillée que les juifs consacrent normalement à parler de celui qui est mort).
Le sous-titre de "Deuxième génération" est "
Ce que je n'ai pas dit à mon père", et cette formule représente un excellent résumé du livre. On peut d'ailleurs voir cet album comme une forme de psychothérapie, ou plutôt comme une manière de se libérer d'une oppression paternelle devenue insupportable. Pour le lecteur occidental moyen, par contre, ce livre permet de découvrir le piège que peut devenir la Shoah, lorsque tous les événements de vie sont comparés ou mesurés par rapport à ce drame.
Il n'y a pas beaucoup d'humour dans
Deuxième génération, car le sujet est trop sérieux, mais c'est tout de même un livre qui pétille d'intelligence. L'auteur expose en effet avec simplicité et avec force quelques vérités qui sont bien délicates à exprimer. Je ne sais pas s'il arrivera à faire lire un jour ce livre à son père, mais il a réussi un tour de force admirable. Ce conflit larvé me parait en effet exemplaire, et dessiné sous la forme d'une BD, le résultat n'est pas loin du petit chef d'oeuvre.
Pour conclure, je dirai que Michel Kichka peut à juste titre proposer cette histoire bien singulière au grand public. Son livre ressemble certes à un règlement de compte familial, mais ce qu'il raconte possède la force de la vérité. Et puis, chaque expérience est unique, et recèle quelque chose à nous apprendre. Et enfin, quand on y pense, ce que Michel Kichka a vécu est tout aussi triste, et a tout autant d'importance que la Shoah elle-même.