Bonjour Raymond
Serena est une BD adaptée du roman éponyme de Ron Rash, scénarisée par Anne-Caroline Pandolfo, et dessinée par Terkel Risbjerg.
Une jeune femme,
Serena, vient d’épouser Georges Pemberton, le propriétaire d’une exploitation forestière des Great Smoky Mountains, un massif de la chaine des Appalaches. L’intrigue se déroule à l’époque de la Grande Dépression, et les temps sont difficiles. Très rapidement,
Serena se révèle une maitresse femme, ambitieuse, résolue, dure envers elle-même et les autres, mais également impitoyable et sans scrupule. Telle Lady McBeth, elle pousse son mari vers toujours plus d’ambition… Et elle traite les hommes comme des animaux. Ainsi, le parallèle entre le dressage de l’aigle et l’asservissement du contremaitre Galway est glaçant.
De toute façon, les personnages sont âpres, à l’image d’une nature rude. Clairement, la tonalité est celle d’un western. La vie n’est rien et ne vaut rien. Le roman s’inspire d’une histoire véridique et nous raconte la lutte des grands propriétaires forestiers contre l’Administration Fédérale Américaine qui souhaite acheter leur terre pour en faire un
National Park : https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_national_des_Great_Smoky_Mountains. L’intrigue se noue aussi autour de Jacob, le fils illégitime de Georges Pemberton avec Rachel, une de ses employées.
Serena perd son enfant et ne peut supporter que son mari ait pu en avoir un avec une autre...
Les préoccupations environnementales sont au cœur de la BD. Les Pemberton combattent la nature et l’exploitent sans aucun respect. En cela,
Serena diffère profondément d’un de ses modèles, Scarlett O’Hara. Et les Great Smoky Moutains ne sont nullement adulés comme Tara l’a pu être. D’ailleurs,
Serena ambitionne d’ouvrir une autre exploitation au Brésil, car le cadre règlementaire y est moins contraignant... Faut il y voir un clin d’œil avec l‘actuel drame de la déforestation amazonienne ?
Le site du parc autrefois :
Le site du parc aujourd’hui :
Écologie rime ici avec social, car les salariés sont traités comme la forêt ! Les conditions de travail sont dures et les accidents mortels sont fréquents. Mais cela ne gêne nullement les Pemberton car la Grande Dépression pourvoit l’exploitation en personnel, des chômeurs désespérés et prêts à tout pour gagner quelques dollars.
Néanmoins, la compassion n’est pas totalement absente de l’histoire, et au final, le shériff corrompu se révélera profondément humain.
Concernant le déroulé de l’histoire, Anne-Caroline Pandolfo regarde du côté du théâtre antique. Et quelques ouvriers de l’exploitation, toujours les mêmes, reviennent régulièrement, à l’instar du chœur d’une tragédie grecque. Ils éclairent le lecteur sur l’avancée de l’intrigue, et apportent un regard moral sur les évènements. On peut d’ailleurs regretter une certaine longueur du scénario. Des rebondissements ne s’imposaient pas, comme celui du meurtre du père de Rachel ou encore celui du magnat du cuivre.
Le roman graphique comporte 216 planches. Il a été dessiné en moins de deux ans, ce qui suppose une grande rapidité d’exécution. Les détails sont donc absents et le style est parfois caricatural. Cela n’empêche pas une belle caractérisation des visages ou des regards, et ceux de
Serena font clairement froid dans le dos. A contrario, bien évidemment, la physionomie de Rachel reflète son angélisme. Les animaux sont représentés avec un trait nerveux, Bill Sienkiewicz n’aurait pas renié la représentation très stylisé de l’ours. Quant aux couleurs, elles sont au diapason de l’intrigue, sombres et sans chaleur.
La BD est très noire et ne manquera pas de plaire aux amateurs de polars, voire de westerns spaghettis. Tant cet ouvrage que le livre éponyme ont bénéficié de critiques très favorables : http://www.lefigaro.fr/bd/2018/03/10/03014-20180310ARTFIG00022--
serena-ou-le-destin-impitoyable-d-une-sombre-heroine-de-western.php, http://www.telerama.fr/livres/
serena,64159.php, etc. La rudesse des cœurs et de la nature évoquent la toute récente :
Saga de Grimr, fauve d’or 2018. On peut enfin noter que le roman a aussi été adapté au cinéma en 2014.
Bien cordialement
Eléanore