ATTENTION CHEF D’ŒUVRE
Avec Pereira prétend, Pierre-Henry Gomont signe, en 2016, une superbe adaptation en BD du roman éponyme d’Antonio Tabuchi, multiprimé chez nos amis italiens : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pereira_pr%C3%A9tend.
L’intrigue se passe en 1938, au Portugal, au moment où la dictature salazariste s’installe. Elle raconte l’éveil politique de Pereira, le responsable des pages culturelles du journal Lisboa. Au début du scénario, Pereira nous est décrit comme un homme du passé, un amoureux de la littérature française du XIXème siècle, un veuf inconsolable de sa femme prématurément décédée, ayant choisi de vivre en marge de son temps. Par hasard, il fait la connaissance d’un jeune homme, Monteiro Rossi, qui, lui, est ancré dans le présent, et s’oppose au régime. Rossi a l’âge de l’enfant qu’aurait pu avoir Pereira, et du coup, le journaliste va progressivement ouvrir son cœur et son âme à la pensée « subversive » de cet idéaliste qu’il aurait pu engendrer et aimer. Bien évidemment, notre héros va tout doucement basculer du côté des démocrates, jusqu’à un ultime coup d’éclat qui conclut superbement la BD….
Cette BD historique est d’une richesse inouïe. En premier lieu, l’époque est parfaitement rendue, à travers une multitude de témoins dont les agissements témoignent de l’évolution de la société vers l'Estado Novo. Ainsi, la gardienne du héros devient une "indic" de la police. De même, l’imprimeur fait part de sa peur d’être licencié si les articles publiés dans le Lisboa ne reflètent plus la pensée officielle.
Derrière cette reconstitution minutieuse se cache une superbe variation sur la solitude et sur la conscience morale. Les scènes où Pereira dialogue avec le portrait de son épouse disparue sont bouleversantes. Ce portrait en devient le miroir de la conscience du journaliste. Et il n’est pas anodin que le héros réussisse à faire le deuil de son passé en hébergeant Rossi dans la chambre destinée à l’enfant qui n’est pas venu. Dans un autre registre, Guimont nous représente les tourments de l'âme du héros, à l’instar d’Hergé qui, dans Tintin au Tibet, met en scène l’ange gardien et le démon de Milou.
Ces facettes prennent d’ailleurs corps dans la société portugaise où Pereira est tiraillé entre son curé, anti-salazariste, son médecin, plutôt libéral, ou encore la fiancée de Rossi, une incarnation de Dolores Gómez, la célèbre Pasionaria de la Guerre civile espagnole.
Le message est aussi politique. Il célèbre le courage des opposants aux dictatures. On pense par exemple à Anna Politkovskaïa. Mais tant d’autres, comme Pereira, sont devenus des héros malgré eux, un peu comme Dustin Hoffman dans le film de Stephen Frears, quoiqu’on puisse aussi penser à Jean Rochefort dans Courage Fuyons D’Yves Robert.
Des propos philosophiques émaillent le début de la BD et lui confèrent une légèreté qui ne se tarira pas malgré le contexte étouffant de l’intrigue. Je ne résiste donc pas à citer ce savoureux dialogue entre Rossi et Pereira : « Vous savez ce qu’on dit, la philosophie se targue de parler de l’essentiel et ne s’occupe peut être que de frivolités. La littérature, c’est l’inverse. »
Le graphisme est superbe. Concernant l’ambiance, Gomont a expliqué s’être promené pendant deux semaines dans les rues de Lisbonne pour y dessiner encore et toujours la ville. Les plus beaux croquis sont d'ailleurs repris dans un magnifique cahier situé à la toute fin de l’histoire.
Les personnages font penser à des toiles de Goya ou mieux encore aux Célébrités du Juste Milieu de Daumier (https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9l%C3%A9brit%C3%A9s_du_Juste_Milieu). Ils sont presque caricaturaux. Ainsi, l’embonpoint de Pereira reflète parfaitement l’abandon des projets et des idéaux de sa jeunesse. De même,le curé est d'une maigreur ascétique, comme si la foi de son âme dévorait sa chair, ne laissant aucune place pour les nourritures terrestres.
Les couleurs sont vives, presque criardes, et le ciel bleu fleure bon les éclairages méditerranéens. Et la canicule d'alors est parfaitement restituée par une abondance de couleurs chaudes.
En conclusion, Pereira prétend est une superbe BD, qui m’a beaucoup émue.
Les lecteurs et les critiques l’ont d’ailleurs plébiscitée comme en témoignent les nombreuses récompenses et nominations dont le Grand Prix RTL de la BD 2016 (http://www.rtl.fr/culture/arts-spectacles/pereira-pretend-est-la-bande-dessinee-rtl-de-l-annee-2016-7786145581). L’ancienne ministre de la culture, Mme Azoulay, s’est d’ailleurs déclarée admirative devant l’œuvre ! Françoise Nyssen à Angoulème n'aurait-elle donc fait qu'emprunter un chemin ouvert par sa prédécessrice ?
Avec Pereira prétend, Pierre-Henry Gomont signe, en 2016, une superbe adaptation en BD du roman éponyme d’Antonio Tabuchi, multiprimé chez nos amis italiens : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pereira_pr%C3%A9tend.
L’intrigue se passe en 1938, au Portugal, au moment où la dictature salazariste s’installe. Elle raconte l’éveil politique de Pereira, le responsable des pages culturelles du journal Lisboa. Au début du scénario, Pereira nous est décrit comme un homme du passé, un amoureux de la littérature française du XIXème siècle, un veuf inconsolable de sa femme prématurément décédée, ayant choisi de vivre en marge de son temps. Par hasard, il fait la connaissance d’un jeune homme, Monteiro Rossi, qui, lui, est ancré dans le présent, et s’oppose au régime. Rossi a l’âge de l’enfant qu’aurait pu avoir Pereira, et du coup, le journaliste va progressivement ouvrir son cœur et son âme à la pensée « subversive » de cet idéaliste qu’il aurait pu engendrer et aimer. Bien évidemment, notre héros va tout doucement basculer du côté des démocrates, jusqu’à un ultime coup d’éclat qui conclut superbement la BD….
Cette BD historique est d’une richesse inouïe. En premier lieu, l’époque est parfaitement rendue, à travers une multitude de témoins dont les agissements témoignent de l’évolution de la société vers l'Estado Novo. Ainsi, la gardienne du héros devient une "indic" de la police. De même, l’imprimeur fait part de sa peur d’être licencié si les articles publiés dans le Lisboa ne reflètent plus la pensée officielle.
Derrière cette reconstitution minutieuse se cache une superbe variation sur la solitude et sur la conscience morale. Les scènes où Pereira dialogue avec le portrait de son épouse disparue sont bouleversantes. Ce portrait en devient le miroir de la conscience du journaliste. Et il n’est pas anodin que le héros réussisse à faire le deuil de son passé en hébergeant Rossi dans la chambre destinée à l’enfant qui n’est pas venu. Dans un autre registre, Guimont nous représente les tourments de l'âme du héros, à l’instar d’Hergé qui, dans Tintin au Tibet, met en scène l’ange gardien et le démon de Milou.
Ces facettes prennent d’ailleurs corps dans la société portugaise où Pereira est tiraillé entre son curé, anti-salazariste, son médecin, plutôt libéral, ou encore la fiancée de Rossi, une incarnation de Dolores Gómez, la célèbre Pasionaria de la Guerre civile espagnole.
Le message est aussi politique. Il célèbre le courage des opposants aux dictatures. On pense par exemple à Anna Politkovskaïa. Mais tant d’autres, comme Pereira, sont devenus des héros malgré eux, un peu comme Dustin Hoffman dans le film de Stephen Frears, quoiqu’on puisse aussi penser à Jean Rochefort dans Courage Fuyons D’Yves Robert.
Des propos philosophiques émaillent le début de la BD et lui confèrent une légèreté qui ne se tarira pas malgré le contexte étouffant de l’intrigue. Je ne résiste donc pas à citer ce savoureux dialogue entre Rossi et Pereira : « Vous savez ce qu’on dit, la philosophie se targue de parler de l’essentiel et ne s’occupe peut être que de frivolités. La littérature, c’est l’inverse. »
Le graphisme est superbe. Concernant l’ambiance, Gomont a expliqué s’être promené pendant deux semaines dans les rues de Lisbonne pour y dessiner encore et toujours la ville. Les plus beaux croquis sont d'ailleurs repris dans un magnifique cahier situé à la toute fin de l’histoire.
Les personnages font penser à des toiles de Goya ou mieux encore aux Célébrités du Juste Milieu de Daumier (https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9l%C3%A9brit%C3%A9s_du_Juste_Milieu). Ils sont presque caricaturaux. Ainsi, l’embonpoint de Pereira reflète parfaitement l’abandon des projets et des idéaux de sa jeunesse. De même,le curé est d'une maigreur ascétique, comme si la foi de son âme dévorait sa chair, ne laissant aucune place pour les nourritures terrestres.
Les couleurs sont vives, presque criardes, et le ciel bleu fleure bon les éclairages méditerranéens. Et la canicule d'alors est parfaitement restituée par une abondance de couleurs chaudes.
En conclusion, Pereira prétend est une superbe BD, qui m’a beaucoup émue.
Les lecteurs et les critiques l’ont d’ailleurs plébiscitée comme en témoignent les nombreuses récompenses et nominations dont le Grand Prix RTL de la BD 2016 (http://www.rtl.fr/culture/arts-spectacles/pereira-pretend-est-la-bande-dessinee-rtl-de-l-annee-2016-7786145581). L’ancienne ministre de la culture, Mme Azoulay, s’est d’ailleurs déclarée admirative devant l’œuvre ! Françoise Nyssen à Angoulème n'aurait-elle donc fait qu'emprunter un chemin ouvert par sa prédécessrice ?
Dernière édition par eleanore-clo le Sam 10 Fév - 16:15, édité 1 fois