Quand je commence un livre de Daniel Clowes, je se demande toujours dans quel piège je vais tomber. Et c'est bien ce qui s'est passé avec
Monica, cette curieuse BD morcelée en plusieurs chapitres. Je me suis demandé au début si c'était une seule histoire ou une recueil de nouvelles, et la réponse fût lente à apparaître ?
Cela commence pendant la guerre de Corée, mais c'est très court, puis on saute vers les années 60 avec un jeune couple californien pendant la grande époque "sexe et drogue". Et cela continue ensuite avec quelques histoires bizarres. On se demande où l'auteur veut nous entraîner ! Il semble exister des liens entre les différents récits mais ce n'est pas évident. Et puis les ambiances sont un peu étranges !
Un personnage émerge après plusieurs chapitres, et c'est d'abord la vie d'une jeune femme que l'auteur raconte. Elle se nomme Monica et sa trajectoire est frustrante. Abandonnée par son père et sa mère, elle va essayer de les retrouver, vaillamment, imprudemment, et désespérément.
Disons-le d'emblée, il est assez problématique de comprendre Monica en première lecture. Le plus difficile, c'est que les personnes qui évoluent autour d'elle paraissent souvent "fermées", ou alors indifférentes. Personne ne s'explique et Monica parait décalée du monde qui l'entoure. On se demande par moment si elle ne tombe pas dans la psychose. L'atmosphère devient inquiétante et on pense irrésistiblement au récit d'un cauchemar, comparable au fameux "Comme un gant de velours dans la fonte".
Monica pénètre ensuite dans une secte et la trame devient alors plus explicite. L'héroïne (oserai-je employer ce mot) est isolée et maltraitée par par une bande de déséquilibrés mais elle ne cherche pas à s'échapper. Elle a son propre projet, qui est un peu insensé, mais qu'elle va mener jusqu'au bot.
Puis les qualités du livre apparaissent progressivement ! En premier, on se rend compte qu'il s'agit d'un récit choral, dans lequel chaque chapitre met en vedette un autre personnage. Il y a bien une seule histoire mais elle est perçue par plusieurs subjectivités aux sensibilités très diverses, et l'intrigue dévoile ainsi la vraie complexité du monde. Chaque événement, qu'il soit affreux ou joyeux, est perçu d'une manière différente par de multiples intervenants. Et l'aspect décousu de la narration provient avant tout de ce choix narratif. Les récitatifs parlent à la première personne, mais celui (ou celle) qui parle n'est pas toujours le (ou la) même ! Les messages deviennent ainsi multiples et contradictoires.
Et c'est à ce moment-là que l'on peu
relire le livre, en éprouvant du plaisir à tout comprendre (ou presque). Faut-il préciser que Daniel Clowes est né au début des années 60, comme l'héroïne du livre, et qu'il témoigne probablement avec cette œuvre de son univers (l'Amérique), d'une civilisation et d'ambiances qu'il a vues ou vécues. Et avec
Monica, il nous fait des confidences à sa manière habituelle, assez timide et un peu distante, plutôt intellectuelle et légèrement cryptée, sans manifester de sentiment et en adoptant un ton sévère. L'auteur observe le monde qui l'entoure et présente des événements sans chercher à les expliquer.
Ce n'est pas une BD facile à lire mais c'est un vrai livre d'auteur, avec ses mystères, son style "ligne claire", parfois sa morale et bien sûr une véritable rigueur.
Et c'est curieusement une des grandes lectures de l'année ! C'est en effet un album que l'on peut lire et relire plusieurs fois, en découvrant toujours de nouvelles choses.
EEEE