J'ai donc lu
Un passager porté disparu et
La vallée des roses.
Le premier conte le retour du héros dans sa ville natale, après trois années passées à bourlinguer en Mer de Chine. Comme le dit Raymond, cette histoire romanesque secrète une fragrance prenante de nostalgie.
Histoire ou deux histoires d'ailleurs ? En effet, le scénario aborde deux thèmes : celui du retour (désenchanté) au bercail et celui de la filiation. Poussin n'est plus le jeune homme de vingt-cinq ans, parti la fleur au fusil et les yeux brillants vers des contrées exotiques. Durant ses voyages, le personnage a acquis de épaisseur et il a maintenant compris que la vie est à la fois douce et amère. Cette évolution se retrouve d'ailleurs dans le dessin de son visage qui s'arrondit tel un galet sur lequel les vagues passent jusqu'à le polir. Et Le Gall nous fait comprendre que Dunkerque, port d'attache, va se transformer en un port d'escale, qu'il constituera le prélude à d'autres aventures. Les expériences vécues par Poussin font que la ville ne lui convient plus, ce que ni sa mère, ni sa sœur ne comprennent immédiatement.
Côté texte, j'ai beaucoup apprécié les phrases et les mots employés, tous empreints d'une grande finesse. Aussi, je ne résiste pas au plaisir de partager ceux de la 17ème planche :
Franchir le musoir des jetées… S'abandonner enfin à l'ivresse du départ, à l'attrait de la nouveauté, et goûter la douce amertume que vous laisse la cérémonie des adieux.. Partir… Partir n'est rien en regard de cette étrange sensation de douceur qui vous envahit à l'idée de poser le pied à nouveau sur le sol de votre pays… Car c'est là qu'on a laissé la meilleure partie de soi, qu'on le veuille ou non, ceux qui vous aiment ne laisseraient pas tout partir de vous...Les deux silhouettes frileuses [la mère et la sœur du héros] que j'avais laissées derrière moi, je les retrouve inchangées, comme si elles n'avaient pas, tout ce temps, pas changé. On peut enfin noter un subtil hommage à Hergé car l'habillement de Théodore sur le paquebot ressemblent beaucoup à celui de Tintin dans les dernières pages du
Lotus bleu.
Précédemment, j'ai évoqué deux histoires dans cet opus 6 de la série et j'en viens donc maintenant à ce point. En effet, notre héros va découvrir le secret de sa filiation. Tel Tintin dans
Le trésor de Rackham Le rouge, Poussin aura donc été au bout du monde pour finalement trouver dans sa ville natale ce qu'il cherchait. Bien évidemment, la découverte va avec son lot de souffrance et de déconvenue. Le sujet traité est bien évidemment celui de l'adoption (voulue ?) où l'enfant devenu adulte se met irrésistiblement à la recherche de ses géniteurs biologiques.
Les dessins sont splendides avec quelques pics comme la perspective sur la proue du paquebot de la planche 12 qui rappelle une célèbre publicité que j'épingle à ce message, ou encore celle du reflet de Poussin dans la planche 27, alors qu'il contemple la photographie de son oncle et de sa compagne.
Au milieu de toutes ses immenses qualités il me semble que l'œuvre présente un minuscule défaut. Le Gall s'est cru obligé de justifier et d'expliquer les actions quasi surnaturelles de Novembre. Et il me semble que la narration en perd de son mystère. Il eut mieux valu construire autre chose voire ne rien dire et laisser chaque lecteur imaginer ce qu'il souhaite.
Une même beauté traverse
La vallée des roses. Cet opus raconte l'enfance de Poussin. La force du récit est telle qu'on ressent dans son cœur et dans son âme la vie du héros. On croirait presque lire
La gloire de mon père de Pagnol ou encore visionner
Fanny et Alexandre de Bergman. Le Dunkerque de la belle époque jaillit des pages de la BD pour vous entourer, vous embrasser, vous séduire, vous inquiéter, ou encore vous sourire. Je souhaite d'ailleurs joindre une splendide vignette représentant la foire locale.
Des personnages attachants jalonnent la narration, que ce soit le père de Poussin, capitaine au long cours, patriarche dont on ne sait s'il préfère la mer ou sa maison de 'la vallée des roses". Dans un tout autre registre, le grand père est sublime. Il porte la rouspétance, la maladresse et surtout l'immense tendresse de nos ainés, avec une noblesse incroyable. Et au milieu de tout cela, Camille, la petite sœur de Poussin, apporte une tonalité d'innocence et de malice.
Coté graphisme, Le Gall s'essaie à la couleur directe. Cette technique ne constitue clairement pas sa tasse de thé et l'auteur l'abandonnera dès l'opus suivant. Et si on peut constater quelques petites maladresses, force est de reconnaitre que le choix se marie parfaitement avec l'intrigue. Il confère fraicheur et vie à la narration.
Au final et pour reprendre une expression chère à Raymond, ce dytique constitue un indispensable de la BD, un chef d'œuvre à n'en pas douter :
EEEE. Un grand merci pour cette découverte
Eléanore