Arthur Piroton et Jess Long

Parmi les classiques franco-belges du genre policier, je pense qu'on peut ajouter la série Jess Long. Sauf erreur de ma part, cette série n'a pas encore été évoquée ici. Dessinée par Piroton dans un style réaliste et efficace, scénarisée par Tillieux jusqu'à sa disparition accidentelle, cette série prépubliée dans Spirou offre de belles enquêtes dont l'action est située aux Etats-Unis. Je n'ai lu que quelques albums car ils sont assez difficiles à trouver aujourd'hui à un prix raisonnable. J'ai trouvé qu'il s'agissait vraiment d'une bonne série policière. Qu'en pensez-vous ?

Jess Long fait partie des séries classiques du journal Spirou et c'était dessiné par Arthur Piroton. Je ne suis pas certain qu'il y ait un sujet dédié à ce dessinateur et il faut que je vérifie ce point. 

S'il n'y en a pas, il faudra ouvrir un sujet "Piroton".  

Bonne idée Raymond ! Je connais peu de choses sur Arthur Piroton et j'aimerais en apprendre plus à son sujet. J'ai trouvé ses dessins particulièrement réussis dans les quelques albums de Jess Long que j'ai lus. Les nombreuses scènes d'action sont bien représentées. On peut également remarquer que ce dessinateur parvenait à dessiner les voitures américaines de l'époque avec une grande précision. Mais je suis loin d'avoir lu les 21 albums de Jess Long... Du coup, ce sont plus des impressions qu'un véritable commentaire sur l'ensemble de la série. Les tomes que j'ai lus sont les premiers. Je ne sais pas s'il y a eu une évolution du dessin et comment la série a évolué de façon générale. Il me semble que les albums n'ont pas été réédités, ils sont difficiles à trouver et, à ma connaissance, il n'y a pas d'intégrale prévue. Il faudra que je sois patient pour découvrir d'autres aventures du célèbre agent fédéral du journal de Spirou !

Dessinateur fidèle au journal Spirou, Arthur Piroton fait partie des "petits maîtres" des éditions Dupuis. Il a longtemps travaillé dans la discrétion et a publié quelques BD dont on se souvient bien, sans que ce soient des best sellers !



Il y a très peu d'articles et d'interviews consacrés à cet auteur, mais il y a heureusement un petit dossier qui a été publié dans le N° 106 de Hop. Piroton était déjà mort à ce moment là et cet honnage rassemble à peu près tout ce que l'on sait à son sujet !



Sa série la plus célèbre est bien sûr Jess Long, scénarisée au début par Tillieux, et le dessin méticuleux de Piroton reconstituait à merveille le monde vaste et implacable de l'Amérique. Il y a eu une vingtaine d'albums chez Dupuis mais ils n'ont pas été réédités mais on les trouve encore sans trop de difficulté sur le Web, me semble t-il.

On avait bien sûr parlé de Piroton dans le vieux sujet intitulé Dessinateurs oubliés du journal Spirou. J'avais alors fait le tour la (très rare) littérature critique qui le concerne.

La discussion se trouve ici, dans les post N° 46 à 54 :

Les dessinateurs méconnus de Spirou, infos et interviews rares - Page 2 (forumactif.com)

Malheureusement, presque toutes les images ont disparu. Il va falloir que je les remette dans ce sujet. 

Pour ce qui concerne les interviews de Piroton, il n'y en a presque aucune en dehors d'un vieil article dans Circus N° 30. Il faudra que je le remette en ligne.

La mort de Piroton en janvier 1996 est survenue alors qu'il était encore très actif, car il n'avait que 64 ans. Le journal Spirou lui avait heureusement rendu hommage, en publiant un article de deux pages dans son numéro 3020. Je vous le montre ci-dessous :

Arthur Piroton a été prolifique et a commencé dès le milieu des années 1950, dans Spirou et d'abord Bonnes Soirées, deux revues des éditions Dupuis.
Passionné d'aéromodélisme, il a aussi participé à une revue d'aviation, Mach, au début des années 1960, où il a publié une sorte de BD didactique dont je joins une page (numéro 6 d'avril 1962) :

Effectivement, et la première série série de Piroton dans Spirou mettait d'ailleurs en scène Michel et Thierry, deux passionnés d'aéromodélisme qui vivaient diverses aventures grâce à leur hobby.

Je me souviens d'avoir possédé pendant les années 60 le premier album de cette série qui s'intitulait le Grand Raid. Cela racontait une compétition d'aéromodélisme qui comportait une sorte de tour de France en faisant voler des avions miniatures. J'avais bien aimé cet album à l'époque.



Une intégrale de Michel et Thierry a été éditée il y a quelques années chez Le Hibou, Je ne sais pas si ces livres sont encore disponibles.

En fin de carrière, Piroton a de nouveau dessiné avec Francis Carin une série consacrée à l'aéromodélisme qui s'intitulait les Casseurs de Bois. Il n'y a eu cette fois qu'une aventure dans Spirou, publiée ensuite en album par un petit éditeur.



En voici un petit extrait, trouvé dans la Bedetheque.

La seule interview vraiment consistante d'Arthur Piroton a été faite par le journal Circus pendant les années 70. On la trouvait dans le sujet "dessinateurs oubliés du journal Spirou" mais le lien s'est maintenant perdu. Je vous la redonne donc dans ce sujet !







J'espère que ce sera assez lisible !  

Merci pour le partage de ces documents qui nous permettent d'en apprendre beaucoup sur ce grand dessinateur !

Une illustration double page, comme en a fait beaucoup Arthur Piroton dans la revue des éditions Dupuis Bonnes Soirées, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 (ici, le n°1924 du 28 décembre 1958) :



Et ici, une autre (sur une page), dans BS n°1911 du 28 septembre 1958 (je rappelle que BS était - est encore ? - spécialisé dans les romans à l'eau de rose...) :

Magnifique ! Merci JYB.

Dans Bonnes Soirées toujours, numéro 1941 du 26 avril 1959, Arthur Piroton a illustré un autre roman "à l'eau de rose", La dame de Brocéliande. Voici la première page avec la première illustration, signée, de Piroton :



Au sein du même roman, quelques pages plus loin, voici une autre illustration de Piroton, non signée (je montre le visuel tel que je l'ai scanné dans BS, mais je soupçonne que le massicotage chez l'imprimeur a occasionné une coupe du haut de la tête du personnage de droite, que Piroton avait sans doute dessinée entière, et sans doute avait-il dessiné aussi davantage de l'épaule du même personnage) :



Des lectrices se sont émues de reconnaître, dans ce même personnage masculin, quelqu'un de très connu... Il a fallu un certain temps de réaction, mais dans le numéro 1955 du 2 août 1959, la rédaction doit leur répondre (sans citer le nom du dessinateur !) :



"Une ressemblance involontaire sinon inexplicable" ? Hum hum... Je me demande s'il n'y a pas eu aussi (et surtout ?) une protestation, passée sous silence dans cette réponses aux lectrices, de l'agent d'Alain Delon...

Bizarrement, dans le même numéro de BS où a paru le roman La dame de Brocéliande (26 avril 1959, donc), était publié un autre roman, A travers les troènes, avec là aussi une illustration de Piroton montrant un personnage masculin que je crois reconnaître encore...! :



Ce portrait était d'ailleurs présenté en couverture du même numéro (je montre la couverture entière, et en dessous, un recadrage sur l'illustration de Piroton, que l'on retrouve inversée par rapport à celle qui figure à l'intérieur du numéro... mais cette fois celle illustration inversée est signée... quel micmac !) :

Merci JYB !  

Pendant la deuxième moitié des années 50, Piroton a aussi publié ses premières illustrations dans Spirou. Cela a commencé en 1956, avec quelques dessins accompagnant divers textes rédactionnels.

En 1957, dans le fameux N° 1000 de Spirou, Piroton illustre un roman de Xavier Snoeck intitulé Demain l'Aile rouge. 





C'était une première promotion, pour un dessinateur encore débutant !

Puis en mars 1959, Piroton publie sa toute première bande dessinée dans Spirou ! C'est une Histoire de l'Oncle Paul qui s'intitule le Retour de la Marie-Anne et il y aura en tout une trentaine de récits pendant les trois années suivantes, jusqu'à l'apparition de Michel et Thierry en 1962.

Piroton a dessiné 8 ou 9 aventures de Michel et Thierry mais la série n'a jamais vraiment rencontré le succès. A la fin des années 60, le dessinateur a dû se recycler.

Il s'est d'abord associé avec Deliège pour dessiner les Krostons, une œuvre humoristique dans laquelle Piroton se tire plutôt bien d'affaire. Comme l'histoire met en scène un dessinateur de BD, il se dessine lui-même en plein travail, puis comme victime de ses mystérieux petits personnages.



Il ne fait toutefois qu'un album car on lui propose ensuite de dessiner la série Jess Long, qui avait été imaginée par Tillieux. C'est la grande occasion de sa vie ! Piroton accepte bien sûr tout de suite cette nouveauté et il dessinera ensuite Jess Long jusqu'à sa mort.

Bien qu'il dessine apparemment des BD fort sérieuses, Arthur Piroton était parfois capable de se lancer dans des histoires fantaisistes. il l'avait prouvé dès les années 60 avec l'album des Krostons, et il a collaboré par la suite à diverses productions inattendues, généralement autour de Jess Long.

En 1995, il a ainsi terminé (en dessinant une case) une planche des "Dessous de la BD" qui se moquait de Jess Long.  Ces "Dessous de la BD" étaient 14 planches dessinées devant le public lors du Salon du Livre de Montreuil en 1994. Elles ont été publiées quelque mois après dans le Spirou N° 2963.

La planche des Dessous de la BD visant Jess Long a été créée par O'Groj et Janssens. Dans le journal, elle a été placée ironiquement à coté de la fin de l'Appel du Loup, l'aventure de Jess Long qui se terminait cette semaine là. Ce côte à côte des deux planches de Jess Long est assez frappant, et on a vraiment l'impression de découvrir le héros "après la fin de la représentation".



Pour mieux comprendre le gag, il faut savoir que la case 8 de la page 32 est à la fois la 8ème case de la dernière planche de l'Appel du Loup, et la case de Piroton que vous voyez à la fin de la parodie ci-dessus. C'est une belle mise en abyme ! 

Je suis tellement déconcerté que je préfère ne rien dire......

Comme autre exemple d'un humour surréaliste, auquel Arthur Piroton acceptait volontiers de se prêter, il y a cette histoire de 5 pages intitulée Qui a tué Jess Long ! Elle est parue en 1994 dans Spirou et le jeune scénariste (qui a depuis fait une belle carrière) de cette histoire se nomme Zidrou. Est-ce que ce nom vous rappelle quelque chose ? Eh bien oui ! C'est lui qui a eu l'idée de la "Malédiction de la Page 13", publiée 1 an après dans le même journal.  



Vous remarquerez tout de suite l'invraisemblance de la première scène (l'auteur qui tue son personnage dessiné d'un coup de pistolet). Piroton n'a pas hésité à reprendre un type d'humour qui avait autrefois été utilisé par Gotlib, Fed ou Tabary.



Mme Piroton elle-même apparait dans cette histoire. Du moment que l'on rigole, autant le faire en famille !   

Arthur Piroton savait donc se moquer de lui-même. Il n'est ainsi pas étonnant qu'un an après, lorsque Zidrou lui a proposé un nouveau gag (celui de la page 13) pour sa série, le père de Jess Long se soit volontiers prêté au jeu.

Voici les deux dernières pages de cette histoire complètement folle, dans laquelle tous les protagonistes partent finalement en vacances.    

"Idée stupide."
"Stupide et dangereuse."
Ce n'est pas moi qui le dis : c'est Jess Long et son pote Slim Sullivan eux-mêmes, dans l'avant-dernière image !

Bizarre : Arthur Piroton est mort le 22 janvier 1996 à la suite d'un cancer. En 1994 et 1995, il devait se savoir condamné. Il a fait mourir Jess Long avec lui.
Tout est clair.
Depuis le début, et je l'ai dit dans le topic de la malédiction de la page 13, ça ne me fait pas rire.

JYB a écrit:"Idée stupide."
"Stupide et dangereuse."

C'est de l'humour !

Raymond a écrit:

JYB a écrit:"Idée stupide."
"Stupide et dangereuse."

C'est de l'humour !

Oui, mais avec un fond de vérité, peut-être dans le subconscient des auteurs. Ils veulent faire rire les lecteurs (qui rient... sauf moi...) et en fait, ils ( = les auteurs) se rendent compte "quelque part" qu'ils ont raison.

Et qu'en ont pensé les filles de Maurice Tillieux, le co-créateur de la série Jess Long, décédé en 1978 ? Elles ont ri de bon coeur, elles aussi ?
Toujours l'éternel problème - et l'éternelle discussion - au sujet des repreneurs d'une série déjà installée ; souvent, ils en font ce qu'ils veulent, y compris le contre-pied de ce que fut la série à l'époque de sa gloire.