Il y a quelques jours, Vilain Goton regrettait le peu de popularité dans notre forum du Fils de Spartacus. Il a tout à fait raison et il faut réhabiliter cet album sans attendre. Pour commencer, je vais ouvrir un sujet consacré à ce récit.
Parue dans le journal Tintin en 1974, cette histoire s'annonçait alors comme dirigée par sévères intentions didactiques. Dans son interview donnée en 1973 aux Cahiers de la BD, Jacques Martin annonçait d'ailleurs qu'il allait "montrer Rome telle qu'elle était, le luxe comme la pauvreté, les maisons borgnes, les bas-quartiers, etc. Un peu comme le Satyricon mais très réaliste". Le résultat s'est révélé fidèle à cette promesse et la première partie de l'album propose quelques images frappantes du quartier de Suburre ou de la Maxima Cloaca. L'auteur y montre aussi quelques coutumes méconnues et peu ragoûtantes de la vie des romains, comme par exemple ces riches fêtards qui essuient leurs doigts gras sur les cheveux crépus des jeunes esclaves.
En fait, cette oeuvre imprime un important virage dans l'orientation de la série. Il y avait bien eu jusque là quelques portraits inquiétants de dictateurs ou de militaires corrompus, mais la civilisation romaine était généralement considérée comme bienfaitrice, progressiste et fondée sur le sens de l'honneur. Dans le Fils de Spartacus, les multiples travers des romains sont au contraire exposés sans ambages : quête de la puissance, attrait pour l'argent ou loi du plus fort deviennent les règles auxquelles obéissent presque tous les protagonistes, à l'exception bien sûr d'Alix qui apparait dès lors comme un personnage naïf. Même les penchants pédophiles du préfet Livion Spura sont évoqués sans la moindre dissimulation. Aujourd'hui encore, je reste un peu surpris qu'une telle scène ait pu être publiée dans le journal Tintin.
Ce qui caractérise en fait cette histoire, c'est le dégoût que nous inspirent la plupart des personnages ainsi que leurs passions. Même les sentiments amoureux en deviennent douteux, et la grande déclaration que fait Ardeles à Mara, toute sincère qu'elle soit, n'éveille aucun écho romantique. Elle s'imprègne au contraire d'un sentiment qui est proche du ridicule.
Il y a donc un mouvement de répulsion que l'on ressent envers la plupart des personnages, et je présume que cette impression se répercute sur l'appréciation de l'histoire toute entière. Pourtant, lorsque je relis aujourd'hui cette aventure, elle m'apparait au fond très morale (car elle dénonce sans complaisance) et fort bien construite. L'action est incessante et il s'agit probablement d'un de ces récits où Jacques Martin s'est senti à l'étroit dans le carcan des 44 pages. Les intervenants sont de plus très nombreux et, pour réussir à introduire toutes ses idées dans l'album, l'auteur en vient à supprimer les habituelles images intermédiaires. L'histoire se structure dès lors en une suite de séquences qui paraissent sélectionnées en fonction de leur propriétés esthétiques ou de leur vocation spectaculaire. Il y a par exemple cette magnifique page 33 qui n'était probablement pas indispensable au récit, mais elle permet à Jacques Martin de composer une page élégante, avec de grandes vignettes étirées vers le haut qui suggèrent un léger sentiment de vertige.
La conclusion du récit est spectaculaire et impitoyable. Il y a d'abord un affrontement sanglant entre partisans de Pompée et soldats du préfet Varron, qui tourne au massacre (cette scène me fait un peu penser à Inglorious Bastards ), puis on découvre la mort théâtrale de la mère de Spartaculus. Cette fin dramatique ne réveille paradoxalement que peu d’émotion, et c'est bien le signe que nous nous sommes peu attachés aux personnages.
Le Fils de Spartacus nous apparait ainsi comme une aventure pessimiste, grinçante et peu attachante, mais c’est aussi un récit intelligent, adulte et bien documenté. C’est aussi l’album d‘un auteur qui a atteint sa pleine maturité, qui veut montrer la réalité plutôt que la légende et qui cherche à dépasser le simple récit d'aventure. C'est surtout une belle BD qui est bien agréable à relire et .. je vous recommande de faire une fois cette expérience.
Parue dans le journal Tintin en 1974, cette histoire s'annonçait alors comme dirigée par sévères intentions didactiques. Dans son interview donnée en 1973 aux Cahiers de la BD, Jacques Martin annonçait d'ailleurs qu'il allait "montrer Rome telle qu'elle était, le luxe comme la pauvreté, les maisons borgnes, les bas-quartiers, etc. Un peu comme le Satyricon mais très réaliste". Le résultat s'est révélé fidèle à cette promesse et la première partie de l'album propose quelques images frappantes du quartier de Suburre ou de la Maxima Cloaca. L'auteur y montre aussi quelques coutumes méconnues et peu ragoûtantes de la vie des romains, comme par exemple ces riches fêtards qui essuient leurs doigts gras sur les cheveux crépus des jeunes esclaves.
En fait, cette oeuvre imprime un important virage dans l'orientation de la série. Il y avait bien eu jusque là quelques portraits inquiétants de dictateurs ou de militaires corrompus, mais la civilisation romaine était généralement considérée comme bienfaitrice, progressiste et fondée sur le sens de l'honneur. Dans le Fils de Spartacus, les multiples travers des romains sont au contraire exposés sans ambages : quête de la puissance, attrait pour l'argent ou loi du plus fort deviennent les règles auxquelles obéissent presque tous les protagonistes, à l'exception bien sûr d'Alix qui apparait dès lors comme un personnage naïf. Même les penchants pédophiles du préfet Livion Spura sont évoqués sans la moindre dissimulation. Aujourd'hui encore, je reste un peu surpris qu'une telle scène ait pu être publiée dans le journal Tintin.
Ce qui caractérise en fait cette histoire, c'est le dégoût que nous inspirent la plupart des personnages ainsi que leurs passions. Même les sentiments amoureux en deviennent douteux, et la grande déclaration que fait Ardeles à Mara, toute sincère qu'elle soit, n'éveille aucun écho romantique. Elle s'imprègne au contraire d'un sentiment qui est proche du ridicule.
Il y a donc un mouvement de répulsion que l'on ressent envers la plupart des personnages, et je présume que cette impression se répercute sur l'appréciation de l'histoire toute entière. Pourtant, lorsque je relis aujourd'hui cette aventure, elle m'apparait au fond très morale (car elle dénonce sans complaisance) et fort bien construite. L'action est incessante et il s'agit probablement d'un de ces récits où Jacques Martin s'est senti à l'étroit dans le carcan des 44 pages. Les intervenants sont de plus très nombreux et, pour réussir à introduire toutes ses idées dans l'album, l'auteur en vient à supprimer les habituelles images intermédiaires. L'histoire se structure dès lors en une suite de séquences qui paraissent sélectionnées en fonction de leur propriétés esthétiques ou de leur vocation spectaculaire. Il y a par exemple cette magnifique page 33 qui n'était probablement pas indispensable au récit, mais elle permet à Jacques Martin de composer une page élégante, avec de grandes vignettes étirées vers le haut qui suggèrent un léger sentiment de vertige.
La conclusion du récit est spectaculaire et impitoyable. Il y a d'abord un affrontement sanglant entre partisans de Pompée et soldats du préfet Varron, qui tourne au massacre (cette scène me fait un peu penser à Inglorious Bastards ), puis on découvre la mort théâtrale de la mère de Spartaculus. Cette fin dramatique ne réveille paradoxalement que peu d’émotion, et c'est bien le signe que nous nous sommes peu attachés aux personnages.
Le Fils de Spartacus nous apparait ainsi comme une aventure pessimiste, grinçante et peu attachante, mais c’est aussi un récit intelligent, adulte et bien documenté. C’est aussi l’album d‘un auteur qui a atteint sa pleine maturité, qui veut montrer la réalité plutôt que la légende et qui cherche à dépasser le simple récit d'aventure. C'est surtout une belle BD qui est bien agréable à relire et .. je vous recommande de faire une fois cette expérience.
Dernière édition par Raymond le Dim 25 Mai - 14:29, édité 1 fois