Nombre de messages : 36946 Age : 69 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
C'est toujours la même question ! Lorsque qu'un nouveau titre parait, et qu'il conclut un cycle de 4 albums, faut-il relire toute la saga, ou plus simplement se contenter de lire la dernière parution ?
J'ai choisi en fait de ne pas tout relire, et c'était très bien comme ça ! Je n'ai finalement pas eu de mal à comprendre l'ensemble de l'oeuvre.
Disons le d'emblée, après toutes les incertitudes que j'ai exprimées pour les précédents opus, cet album est une bonne surprise. Même s'il se conclut de façon dramatique, il répond habilement aux énigmes qui restaient en suspens depuis le début de l'histoire. Chaque personnage voit sa destinée fortement influencée par ce fascinant monde hindou, auquel il semble impossible d'échapper, et la tristesse de certains événements est tempérée par une sorte de sagesse antique. La dernière page, qui est très belle, donne d'ailleurs un sentiment de plénitude. Elle offre aussi une réflexion philosophique qui en dit beaucoup sur les intentions des auteurs.
Le dessin de Jean-François Charles reste pour sa part très constant, et la douceur de son style (et de ses couleurs) rend un bel hommage graphique au continent hindou qui, manifestement, a fasciné les deux auteurs. De nombreuses pages offrent de véritables petits tableaux .... que certains trouveront peut être un peu enjolivés. Mais le titre principal de l'oeuvre justifie toutefois amplement ce choix graphique.
India Dreams est ainsi une très belle BD, et c'est peut être même le chef d'oeuvre de Jean-François Charles, quoique ... ce ne soit pas certain. Il y a beaucoup de belles BD dans sa bibliographie.
Cela me semble être en tout cas un "futur classique", et je vous recommande vraiment de le découvrir.
Nombre de messages : 2090 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour
Les époux Charles ont imaginé une nouvelle série. Après l'Inde et l'Afrique, voici maintenant la Chine. China Li est le premier opus d'une trilogie couvrant le XXème siècle.
Nombre de messages : 2090 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonsoir,
Avec China Li, les époux Charles nous embarquent pour une nouvelle destination : la Chine.
Le scénario nous conte l’enfance et l’adolescence d’une jeune chinoise, Li. L’intrigue se situe dans les années vingt et trente, et a pour cadre Shanghai et plus particulièrement la concession internationale (https://fr.wikipedia.org/wiki/Concession_internationale_de_Shanghai). Li est l’enjeu d’une partie de carte que son frère perd. Elle est donc vendue comme esclave à Zhang, le parrain du grand port. Ces deux personnages que tout oppose, elle misérable et très féminine, lui riche et eunuque, vont se découvrir une passion commune : la peinture. De plus, la jeune femme va sauver la vie du trafiquant lorsque les gangs vont se disputer les richesses créées par le trafic d’opium. Aussi, Li, sa beauté et sa loyauté vont conquérir le cœur de Zhang qui voit en elle la fille qu’il aurait pu avoir….
China Li est le premier opus d’une trilogie dont le décor sera la Chine du 20ème siècle, une période que certains historiens ont baptisé le siècle chinois.
A ce titre, le livre ne dépaysera pas les amoureux de l’œuvre des Charles. On y retrouve le souffle de l’histoire. Les héros sont en effet plongés dans les tourments de l'entre-deux-guerres. Et leur destin épouse un moment celui du pays. La géopolitique est bien évidemment très présente, que ce soit à travers le portrait de la concession internationale, ou la conquête du pays par Tchang Kaï-chek (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tchang_Ka%C3%AF-chek). Cette approche, les lieux et dans une certaine mesure le dessin font bien évidemment penser au Lotus Bleu d’Hergé. D’ailleurs, la dernière vignette du livre est un hommage inconscient de Jean-François Charles à Hergé (j’ai pu échanger avec lui à ce sujet).
On pense aussi à La condition humaine de Malraux (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Condition_humaine), qui aborde aussi le massacre des ouvriers et des communistes par les troupes de Tchang Kaï-chek.
Un autre point me semble notable : la condition féminine. Alors que ce sujet est délaissé dans India Dreams (et pourtant que de choses à dire…), Maryse Charles prend ici la problématique à bras le corps. La scénariste dénonce l’exploitation d’un sexe par l’autre avec des mots très durs : J’avais l’impression d’être vendue comme du bétail mais il est écrit que le yang règne sur le monde et que le yin subit sa loi.
Zhang est un personnage d’une grande complexité. Il incarne parfaitement la philosophie chinoise du Yin et le Yang. Côté Yin, Zhang aide les plus pauvres en offrant de généreuses bourses aux ordres caritatifs. Et il adopte Li. Côté Yang, Zhang est le patron de la pègre locale, un trafiquant d’opium s’enrichissant sur la détresse des toxicomanes. Cruel et impitoyable, il n’hésite pas à tuer pour garder le contrôle de son réseau. Peut-on parler d’un despote éclairé ? Ou faut-il voir dans ses actes de charité, un alibi destiné à racheter toutes les crimes commis par ailleurs ? Quoiqu’il en soit, le truand est un eunuque et le scénario explore la face caché de cette mutilation : souffrance physique et spirituelle, forte mortalité de l’opération de castration, statut social dépendant de celui de protecteurs, etc.
Li est une jeune femme décidée, curieuse de la vie, avide d’apprendre, capable d’apprécier le beau et qui surmonte ses traumatismes. Elle incarne une sorte de perfection morale et, telle Bathilde ou La Malinche, se révèle capable de transcender son destin tragique d’enfant-esclave.
Enfin, on ne peut pas parler de China Li sans souligner l’extraordinaire défi de Jean-François Charles. Le dessinateur, sans l’aide de Tchang (!), s’est approprié le style des peintres chinois. La comparaison entre ces deux représentations d’un pêcheur au cormoran sur la rivière Li ( ) est édifiante. La premier dessin est de Jean-François Charles et le second d'un peintre chinois. Impressionnant, n'est-ce pas ?
Jean-François Charles s’est d'ailleurs piqué au jeu, et l’album recèle de majestueuses vignettes, de la taille d'une page, et invitant au voyage. L’artiste a même été encore plus loin. Il a exploré la frontière entre la BD et la peinture pour nous donner de somptueux lavis. Leur couleur sépia évoque les vieilles photographies, renforçant le sentiment d’immersion dans la Chine des années 20.
Le trait du dessinateur est toujours d’une grande sensualité. Et Li rejoint Amélia et ses consœurs au panthéon des héroïnes, jeunes et belles.
J’ai été très heureuse de lire China Li. Et je conseille aux parisiens de visiter l'exposition organisée par l'excellente librairie Bulles en tête, rue Le Pelletier, dans le 9ème arrondissement.
A contrecourant des tendances actuelles, Charles prend son temps pour dessiner et produire des dessins qui sont tout autant de miniatures. Quel style, j’en suis encore toute époustouflée. Quant au scénario, les Charles se bonifient avec le temps. Et les flottements d'India Dream relèvent maintenant du passé. Tout se tient et les liens sont serrés ! Je vous conseille donc vivement la lecture de l’œuvre.
Très cordialement Eléanore
Dernière édition par eleanore-clo le Dim 9 Sep - 12:05, édité 1 fois
Nombre de messages : 36946 Age : 69 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Effectivement, China-Li est un bien bel album !
Je ne vais pas répéter tout ce qu'a écrit eleanore-clo, avec qui je suis entièrement d'accord (sauf peut-être pour les couleurs sépia), mais il faut encore une fois souligner l'énorme travail effectué par Jean-François Charles. Il a en effet retrouvé avec bonheur les ambiances et les décors de la Chine au début du XXème siècle. Il a d'ailleurs expliqué dans ses interviews comment il est allé se documenter sur place, et les images qu'il en ramène sont réellement convaincantes. Par bien des côtés, son album atteint la qualité de son modèle, qu'était manifestement le Lotus Bleu.
A la fois reportage réaliste et hommage à Hergé, China-Li bénéficie en plus d'un excellent scénario écrit par Maryse Charles. Cette dernière a en particulier créé des personnages forts et passionnés, tels que l'inquiétant "Maître Zhang", un épouvantable gangster qui finit par s'attendrir au contact de la petit China Li, petite paysanne vendue par sa famille à d'inquiétants malfrats. Autour d'eux gravitent de nombreux personnages inquiétants ou médiocres … dont le pouvoir de nuisance n'est pas négligeable. Le vieux maître corrompu et la jeune innocente vont finir par faire alliance, mais un coup de théâtre survient. Il faudra attendre le prochain tome pour en savoir plus.
Véritable dessinateur orientalisant (il y a eu l'Egypte dans "Fox", puis l'Inde, et maintenant la Chine), Jean-François Charles aime nous faire voyager, dans l'espace, bien sûr, mais aussi dans le temps. Avec ce nouvel opus, il retrouve à nouveau un monde qui semble lui plaire, situé au début du XXème siècle. C'est un monde colonial dominé par l'Europe, déjà dirigé par l'économie et la mafia (en particulier les marchands de drogue), à la fois infâme et romantique, qui peut se révéler plein de charme, et qui se montre surtout propice aux aventures dangereuses ou aux découvertes inattendues
C'est un magnifique début ! J'espère que la suite sera à la hauteur.
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Oups. Zhang et pas Zhou. Merci Raymond ! J'ai donc corrigé mon billet. Et je profite de cette réponse pour joindre la superbe dédicace que Jean-François Charles m'a très gentiment offerte. Bon dimanche Eléanore
Nombre de messages : 2090 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour,
Les époux Charles nous font le cadeau d’un magnifique opus 2 pour leur série China Li : L’honorable Monsieur Zhang.
Face au péril japonais, M.Zhang a décidé d'exfiltrer Li en France, et nous retrouvons la jeune femme à Paris. Dans ce nouveau monde, l'’héroïne se découvre un talent de photographe. Elle rencontre bientôt un jeune peintre, Antoine, rêvant d’imiter Picasso ou Modigliani, et qui l'initie aux délices de la vie artistique montmartroise. Mais le destin du jeune homme sera tragique... En Chine, la guerre de l’opium fait rage, et les troupes nippones s’apprêtent à envahir le pays. Aussi M.Zhang est obligé d’abandonner Shanghai pour aller se cacher dans les montagnes du Hunan. C’est là que la jeune femme retrouve son père adoptif…
Cette BD porte clairement la marque des Charles. On y retrouve un mélange de sensualité et de violence, avec en arrière-plan l’Histoire. Le titre est ironique car l’apposition d’une formule de politesse (Honorable) au nom d'un trafiquant de drogue (Zhang) est pour le moins étonnante, sachant de plus que le caïd est sans pitié.
Les références sont multiples. A tout seigneur tout honneur, l’image d’Épinal d’un asiatique s’éveillant à l’art en France fait penser à Tchang, l’ami d’Hergé, mais aussi beaucoup à Foujita (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tsugouharu_Foujita). Le peintre nippon a en effet traversé le Paris des Années folles.
Et plus près de nous, on peut aussi penser à Zao Wou-Ki (https://fr.wikipedia.org/wiki/Zao_Wou-Ki). Une autre référence, dont je pense qu’elle prendra sa pleine mesure dans le tome 3, est Hou Bo, la photographe officielle de Mao Zedong (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hou_Bo). Li préfigure clairement la grande propagandiste. Des hommages discrets à Hergé parsèment l’œuvre. J’en ai trouvé deux (la porte de Shanghai représentée dans un journal en page 9 et l’automitrailleuse de la page 22). Peut-être y en a-t-il d'autres ? Un autre clin d’œil, à la culture montmartroise cette fois, est le chat noir que Jean-François Charles dessine sur les toits en page 14.
Enfin, cerise sur le gâteau, la vie d’Antoine et de Li fait bien évidemment penser à l’opéra La bohème de Puccini. Pour les amateurs de musique, voici les liens vers les deux airs phares de l’œuvre :
et .
Côté personnages, le rapprochement entre Li et Zhang se poursuit. Est-elle toujours la fille adoptive du truand ou la relation ne serait-elle pas plus fusionnelle ? Lorsque Li prénomme son fils Zhang et l’abandonne sans regret pour rechercher son père, on peut s’interroger !
Le drame des batailles est clairement mis en œuvre. Les Charles dénoncent la guerre et sa folie. Ils dénoncent aussi le racisme, notamment dans la scène où les parents d’Antoine rejettent l’idée d’une union avec la jeune femme. J’ai moins apprécié le passage homophile montrant l’amour exclusif et un peu fou de Raphaëlle pour Li, même si sa conclusion est parfaitement logique et permet une progression très élégante de l’intrigue.
Les textes sont très ciselés. Et les maximes ou poèmes chinois, « On ne peut pas empêcher les oiseaux noirs de voler au-dessus de nos têtes mais on peut les empêcher d’y faire leur nid », complètent harmonieusement des dialogues militants : (Antoine) Pourquoi tu ne t’installes pas ici ? La vie de bohème, t’en penses quoi ? Tu es tellement belle, désirable. Tu poseras pour moi. Je serai ton Modigliani… (Li) Arrête ! … Je ne veux pas être ta muse. Je veux être reporter-photographe... Je suis une femme libre.
La couverture arbore des couleurs très chinoises avec un mélange de rouge et d’or. La continuité avec le premier tome est assurée par un subtil jeu de miroirs. Dans Shanghai, Li est en premier plan alors que M.Zhang occupe l’arrière-plan. Cette fois-ci, c’est l’inverse . Les deux premières pages de garde représentent un superbe portrait de Li, dans sa quarantaine. Je crois qu’il faut saluer cette performance à l’heure où même de talentueux dessinateurs comme Gibrat lient beauté des femmes et jeunesse.
Les aquarelles de Jean-François Charles sont magnifiques, et les couleurs sont d’une douceur exquise.
Et comme Hergé dans le Lotus bleu, l’artiste nous offre un superbe cadeau : de grandes vignettes de la taille d’une page.
Un régal et une caresse pour les yeux. Notons enfin, côté dépaysement et acculturation, que le dessinateur s’est parfaitement imprégné de la technique des peintres chinois de Shanshui (https://fr.wikipedia.org/wiki/Shanshui).
Après avoir lu et relu l’ouvrage, je ne peux que saluer la performance. Ce sera assurément une des meilleures BD de 2020. Et je suis très heureuse d’en parler. J’attends avec impatience sa suite, formule très convenue me direz-vous mais ici tout à fait justifiée .
Eléanore
Dernière édition par eleanore-clo le Mer 15 Jan - 17:39, édité 2 fois
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Bonjour
En y repensant, on peut sans doute trouver un subtil hommage à Franquin et au Prisonnier du Bouddha. Le refuge de M.Zhang est suspendu à flanc de montagne, et cette localisation lui confère une certaine ressemblance avec les bâtiments de la vallée des sept bouddhas. On peut aussi rapprocher l'édifice du monastère de Xuankongsi, mais celui-ci est dans le nord de la Chine et donc bien loin des montagnes du Hunan : https://fr.wikipedia.org/wiki/Xuankongsi.
Au titre du manifeste politique, les Charles mettent l'accent sur la corruption des dirigeants. Et ils nous rappellent cette vérité historique qu'une partie des ressources du Kuomintang provenaient de la la collaboration de Tchang Kai Tchek avec les trafiquants d'opium.