L’histoire hésite entre « Du riffifi chez le baron », qui fleure bon les romans policiers d’Albert Simonin ou d’Auguste Le Breton (auteur de la série « Du rififi… »), et « Opération Alpha », qui relève plus des romans d’espionnage de Paul Kenny ou de Peter Cheney (John Moody appartient au FBI, comme Lemmy Caution). Il ne manque que la belle espionne – nous sommes dans
Le Pèlerin… - mais, étonnamment pour le journal qui hébergeait Pat’Apouf, les morts et les scènes de bagarre, voire de torture (strips 20 et 43), ne nous sont pas épargnées.
Les méchants ont leurs accessoires habituels des années cinquante : grosses voitures américaines, souterrain avec porte dérobée et poste émetteur-récepteur radio – mais ils nous font la belle surprise de nous donner des nouvelles de Ranko, rebaptisé Zarko, sans doute échappé du zoo de Londres où il croupissait depuis 1938.
Pour le dessin, on pense évidemment à Tillieux, et on se prend à regretter que JorDom n’ait pas pimenté de plus d’humour son histoire (il avait pourtant de quoi faire sous la main avec son baron chauve à monocle et ses gardes du corps patibulaires).
Il reste qu’il s’agit d’un travail remarquable tant au niveau de la narration (découpage nerveux, avec un suspense ménagé tous les 2 strips) que des dessins, pleins de mouvement : multiplication des plans audacieux, très cinématographiques et toujours justifiés, exploitation habile du noir et blanc, soin minutieux apporté aux décors (le comptoir du bar où la photo de Jack Crowd est reconnue, le bureau du gérant de l’hôtel Continental…) – si bien que le lecteur se « sent » à Manhattan ou à Estoril même s’il n’y est jamais allé.
Même les vignettes « neutres », comme la seconde du strip 24, où John et Georges hèlent un taxi en arrivant à Estoril (une Dauphine...), sont un régal, avec la rue pavée et la belle fille au look B.B. au premier plan :
… La fin manque, mais on peut penser que nos deux héros auront finalement empêché la destruction des flottes anglaise et américaine par les 50 000 hommes-torpilles du baron Otto Holst. On sait aussi, hélas, que cela n’aura pas suffi à épargner Hiroshima et Nagasaki aux Japonais.
Au total, cette BD oubliée est à mon avis une vraie réussite, malgré un scénario très daté, et on peut s’étonner que JorDom n’ait pas persisté dans cette voie « à la Tillieux » - où il apparait beaucoup plus à l’aise que dans le style réaliste du genre de ce « Robert le fier » que nous a présenté Fleng.