Bonjour
La croisade des innocents est une œuvre écrite, dessinée et coloriée par Chloé Cruchaudet.
Le scénario fait bien évidemment référence à un fait réel, la croisade des enfants de 1212 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Croisade_des_enfants_(exp%C3%A9dition). Le héros de la BD s’appelle d’ailleurs Colas, et ce prénom évoque Nicolas de Cologne, un personnage historique ayant mené le cortège allemand de la croisade des enfants.
L’histoire début dans une ferme misérable. Le fils ainé du fermier, Colas, supporte mal l’autorité paternelle, accumule les bêtises et les châtiments.
Sans le vouloir, il cause un accident dont est victime sa sœur, Margotte, et il doit prendre la fuite pour sauver sa vie.
Avec d’autres orphelins ou fugueurs, Il se retrouve pris en charge par des fermiers. Sa spiritualité se développe alors. Et, un jour d’hiver, alors qu'il marche le long d'un étang gelé, il aperçoit un corps sous la surface. Le jeune homme y voit une représentation du corps du Christ et un message divin l'appelant à délivrer Jérusalem. La disparition quelques heures plus tard du cadavre le convaincra de l’aspect miraculeux de sa vision. Et la ferveur de l’époque est telle que de nombreux enfants vont le suivre dans une croisade spontanée.
Le récit est rythmé par les saisons et l’auteure introduit chaque partie par un poème médiéval. L’hiver est ainsi introduit par Le Dit des gueux de Rutebeuf :
Gueux, vous voilà bien lotis !
Les arbres dépouillent leurs branches,
Et vous n’avez pas de manteau ;
Aussi aurez-vous froid aux reins.
Que vous seriez bien dans un pourpoint
ou un surcot à manches fourré !
Vous êtes si allègres en été
Et en hiver si engourdis !
Vos souliers n’ont pas besoin de graisse,
Car vos talons vous tiennent lieu de semelles.
Les mouches noires vous ont piqués,
Les blanches elles aussi vous piqueront.
Et une grande vignette, de la taille d’une page, illustre la situation des croisés à l’entrée dans la saison.
L’histoire est âpre. Les enfants ne bénéficient pas du soutien des seigneurs et leur démarche est en dehors de la structure militaire féodale. C’est donc la croisade des pauvres par opposition à celle des barons. Les croisés vivent de débrouillardise, de charité et de menus larcins. Ils organisent notamment des spectacles de marionnettes pour se nourrir.
La scénariste nous décrit une société d’enfants, organisée par des enfants et pour les enfants, et fonctionnant étonnamment bien grâce au charisme de Colas et à toutes sortes de règles informelles. Et dans une ambiance de misère générale, cette démarche attire les plus désespérés, ceux recherchant l’amour que leur famille ne peut leur donner, et il n’est pas innocent que Margotte rejoigne la croisade. La communauté vit dans une pauvreté absolue, dans l’esprit du Nouveau Testament, et nous sommes très éloignés du pays de Cocagne décrit par Jules Verne dans Deux de Vacances.
La vision de Chloé Cruchaudet est aussi sociale et l’auteure dénonce la condition infantile. N’oublions pas que la loi Villermé encadrant le travail des enfants en France date de 1841 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_au_travail_des_enfants_employ%C3%A9s_dans_les_manufactures,_usines_et_ateliers.
La scénariste stigmatise aussi le pater familias et son pouvoir de vie ou de mort sur sa famille. Face à des adultes cruels, les enfants incarnent l'innocence. Néanmoins, la vision n’est pas misérabiliste. Derrière le désespoir se cache toujours l’espoir, y compris dans la scène finale où Colas sauve la vie de Margotte, défaisant à la toute fin du livre ce qu’il avait fait à son tout début.
Les images sont très évocatrices. Chloé Cruchaudet nous livre un film, dont les vues sont prises à hauteur du visage d’un enfant.
Les visages, les situations ne visent pas au réalisme mais à restituer une ambiance. Ainsi, les branchages enchevêtrés protégeant la fuite de Colas évoque un grillage. La place devant l’église est étriquée pour mieux mettre en valeur la sonnerie des cloches.
Les couleurs sombres, vertes, violettes ou noires, reflètent la dureté des situations. Elles rappellent aussi la couleur sépia des vieilles photographies et contribuent à nous plonger dans un passé lointain.
En conclusion, La croisade des innocents est une très belle BD. Elle utile un évènement historique pour nous délivrer un message universel sur la foi et le désespoir, la bonté et l’autorité, la misère et survie, etc. Une œuvre à découvrir au milieu du raz-de-marée des sorties, d'autant plus qu'elle ne bénéficiera pas d'une mise en place avantageuse sur les tables des libraires.
Bonne journée
Eléanore
La croisade des innocents est une œuvre écrite, dessinée et coloriée par Chloé Cruchaudet.
Le scénario fait bien évidemment référence à un fait réel, la croisade des enfants de 1212 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Croisade_des_enfants_(exp%C3%A9dition). Le héros de la BD s’appelle d’ailleurs Colas, et ce prénom évoque Nicolas de Cologne, un personnage historique ayant mené le cortège allemand de la croisade des enfants.
L’histoire début dans une ferme misérable. Le fils ainé du fermier, Colas, supporte mal l’autorité paternelle, accumule les bêtises et les châtiments.
Sans le vouloir, il cause un accident dont est victime sa sœur, Margotte, et il doit prendre la fuite pour sauver sa vie.
Avec d’autres orphelins ou fugueurs, Il se retrouve pris en charge par des fermiers. Sa spiritualité se développe alors. Et, un jour d’hiver, alors qu'il marche le long d'un étang gelé, il aperçoit un corps sous la surface. Le jeune homme y voit une représentation du corps du Christ et un message divin l'appelant à délivrer Jérusalem. La disparition quelques heures plus tard du cadavre le convaincra de l’aspect miraculeux de sa vision. Et la ferveur de l’époque est telle que de nombreux enfants vont le suivre dans une croisade spontanée.
Le récit est rythmé par les saisons et l’auteure introduit chaque partie par un poème médiéval. L’hiver est ainsi introduit par Le Dit des gueux de Rutebeuf :
Gueux, vous voilà bien lotis !
Les arbres dépouillent leurs branches,
Et vous n’avez pas de manteau ;
Aussi aurez-vous froid aux reins.
Que vous seriez bien dans un pourpoint
ou un surcot à manches fourré !
Vous êtes si allègres en été
Et en hiver si engourdis !
Vos souliers n’ont pas besoin de graisse,
Car vos talons vous tiennent lieu de semelles.
Les mouches noires vous ont piqués,
Les blanches elles aussi vous piqueront.
Et une grande vignette, de la taille d’une page, illustre la situation des croisés à l’entrée dans la saison.
L’histoire est âpre. Les enfants ne bénéficient pas du soutien des seigneurs et leur démarche est en dehors de la structure militaire féodale. C’est donc la croisade des pauvres par opposition à celle des barons. Les croisés vivent de débrouillardise, de charité et de menus larcins. Ils organisent notamment des spectacles de marionnettes pour se nourrir.
La scénariste nous décrit une société d’enfants, organisée par des enfants et pour les enfants, et fonctionnant étonnamment bien grâce au charisme de Colas et à toutes sortes de règles informelles. Et dans une ambiance de misère générale, cette démarche attire les plus désespérés, ceux recherchant l’amour que leur famille ne peut leur donner, et il n’est pas innocent que Margotte rejoigne la croisade. La communauté vit dans une pauvreté absolue, dans l’esprit du Nouveau Testament, et nous sommes très éloignés du pays de Cocagne décrit par Jules Verne dans Deux de Vacances.
La vision de Chloé Cruchaudet est aussi sociale et l’auteure dénonce la condition infantile. N’oublions pas que la loi Villermé encadrant le travail des enfants en France date de 1841 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_au_travail_des_enfants_employ%C3%A9s_dans_les_manufactures,_usines_et_ateliers.
La scénariste stigmatise aussi le pater familias et son pouvoir de vie ou de mort sur sa famille. Face à des adultes cruels, les enfants incarnent l'innocence. Néanmoins, la vision n’est pas misérabiliste. Derrière le désespoir se cache toujours l’espoir, y compris dans la scène finale où Colas sauve la vie de Margotte, défaisant à la toute fin du livre ce qu’il avait fait à son tout début.
Les images sont très évocatrices. Chloé Cruchaudet nous livre un film, dont les vues sont prises à hauteur du visage d’un enfant.
Les visages, les situations ne visent pas au réalisme mais à restituer une ambiance. Ainsi, les branchages enchevêtrés protégeant la fuite de Colas évoque un grillage. La place devant l’église est étriquée pour mieux mettre en valeur la sonnerie des cloches.
Les couleurs sombres, vertes, violettes ou noires, reflètent la dureté des situations. Elles rappellent aussi la couleur sépia des vieilles photographies et contribuent à nous plonger dans un passé lointain.
En conclusion, La croisade des innocents est une très belle BD. Elle utile un évènement historique pour nous délivrer un message universel sur la foi et le désespoir, la bonté et l’autorité, la misère et survie, etc. Une œuvre à découvrir au milieu du raz-de-marée des sorties, d'autant plus qu'elle ne bénéficiera pas d'une mise en place avantageuse sur les tables des libraires.
Bonne journée
Eléanore