Ce qu'il faut savoir, c'est que les albums de BD étaient très rares à cette époque. Il n'y avait que Tintin qui était bien distribué dans les librairies mais ces albums étaient plutôt cher, surtout pour un enfant de 10 ans qui avait 1 ou 2 francs d'argent de poche par semaine. Avec cette somme, je pouvais facilement m'acheter 1 ou 2 petits formats, ou alors un journal comme Spirou, Tintin ou Mickey. Les albums étaient "hors de portée", et c'était le genre de cadeau que je recevais à Noël ou lors de mon anniversaire, si j'étais bien sage. Heureusement, j'avais un frère qui avait les mêmes goûts que moi, et les cadeaux étaient ainsi deux fois plus fréquents.
J'ai reçu les premiers albums de BD en 1962 et peu à peu s'est constituée une collection de livres que l'on lisait et relisait sans fin. Lorsque nos avons eu tous les Tintin disponibles (certains étaient épuisés) au bout de 3 ou 4 ans, nous sommes passés aux albums Dupuis : Johan et Pirlouit, Buck Danny, le Spirou de Franquin, et surtout à certains albums Lombard (Blake et Mortimer, Alix etc.) qui étaient vraiment fascinants. Mais les albums étaient relativement rares, quand même, et on ne pouvait pas lire que cela !
C'était en fait dans les journaux hebdomadaires que l'on lisait régulièrement la BD, et que l'on découvrait peu à peu toutes les séries vedettes. Nous (moi et mon frère) recevions un journal par semaine, et il fallait bien choisir. il y a eu Mickey au début, puis nous sommes très vite passé à Spirou, puis plus tard à Tintin. Ces journaux se prêtaient facilement aux camarades de classe, ou alors à des voisins, qui eux même nous prêtaient d'autres journaux (Pilote, Tintin) et on finissait par lire ainsi beaucoup de choses.
A noter qu'il y avait aussi d'autres hebdomadaires de BD comme Vaillant, mais ils étaient très peu distribués en Suisse, et je les ai découvert bien plus tard. Vaillant a tout de même connu un grand succès en France, assez comparable aux journaux que j'ai déjà cité, et c'est aussi un titre qui est très collectionné.
Avec tout ça, j'ai assez rapidement abandonné les petits formats parce que la qualité (et l'intérêt) de ces BD était tout de même nettement inférieure à celle des séries publiées par les "grands journaux" qui étaient alors Tintin, Spirou et Pilote. Mon frère ainsi que certains de mes amis ont fait le même choix, mais tout le monde n'a pas forcément suivi le même chemin. Les petits formats sont restés abondants et très bon marché bon marché pendant longtemps, et ils avaient aussi leur propre public. Ils ont connu beaucoup de succès jusqu'aux années 70, avant de disparaître progressivement.
C'est au début des années 70, avec en particulier le phénomène Astérix, que les albums sont devenus de plus en plus fréquents. Les journaux hebdomadaires devinrent progressivement un système de "prépublication" avant l'album, et ceci entraîna leur régression, puis leur disparition progressive pendant les années 80.
Lorsque l'album devint la référence, les exigences qualitatives (intérêt du scénario, qualité du dessin) devinrent beaucoup plus importantes, et les éditeurs se tournèrent vers les productions des grands journaux qui étaient tout de même bien meilleures que les autres. Depuis les années 50, les dessinateurs de Spirou ou Tintin travaillaient en effet comme de véritables auteurs, et le grand public avait progressivement reconnu la grande qualité de leur travail. il y eu donc assez peu de tentatives pour rééditer les BD parues en petit format (ou en récit complet), car c'était quand même des bandes dessinées produites à toute vitesse, généralement dessinées par des dessinateurs sous-payés (et étrangers) qui travaillaient à la chaîne. Je me souviens qu'il y avait eu dans les années 90 quelques albums de Blek, par exemple, mais cela ne se vendait pas bien et l'éditeur n'a pas insisté.
Il y a eu certes de très bonnes BD publiées en petit format, le plus souvent importées d'autres pays, mais c'étaient quand même un phénomène assez rare. Il y a eu par exemple les séries de Jacovitti, ou certaines œuvres d'Hugo Pratt, ou certaines séries de l'éditeur Bonelli, ou d'autres titres qui ne me reviennent pas en tête. Aujourd'hui, c'est un plaisir de connaisseur que de collectionner ces raretés.
Pour ce qui concerne Bob Dan, il fait partie de ces dessinateurs français qui n'ont pas eu la chance de travailler pour les trois ou quatre grands hebdomadaires des années 50 et 60 (Bob Dan a travaillé pour L'Intrépide ou Zorro qui n'ont pas connu le même succès) et c'est pour cette raison qu'il est aujourd'hui oublié. Il va être bien difficile, maintenant qu'il y a une pléthore, de le faire connaître au grand public.