Raymond a écrit:Ceci dit, il n'est pas nécessaire d'adopter un style sérieux pour dessiner un biopic intéressant.
Je prendrai comme exemple de cette assertion l'excellent album dessiné en 2009 par Florence Cestac, sur un scénario de Jean Teulé, qui s'intitule
Je voudrais me suicider mais je n'ai pas le temps. Il a été publié chez Futuropolis et peut être qu'on le trouve encore aujourd'hui chez cet éditeur.

Et donc, ce biopic est consacré à l'énigmatique Charlie Schlingo. C'est un dessinateur humoristique qui est apparu à la fin des années 70 dans Charlie Mensuel, et qui a publié beaucoup de BD au cours des années 80 dans diverses revues comme Métal Hurlant, Fluide Glacial, l'Echo des Savanes ou Psikopat. Par la suite, son étoile a un peu pâli et ses œuvres se sont raréfiées. Ses dessins étaient rapides et caricaturaux, tandis que son humour était tellement grossier et surprenant que l'on s'interrogeait un peu sur la santé mentale de son auteur. En fait, Charlie Schlingo le confessait volontiers lui même, il était un peu "cinglé", et surtout il osait faire tout ce qui lui passait par la tête.

Après la mort prématurée (et probablement accidentelle) de Schlingo en 2005, Florence Cestac et Jean Teulé décidèrent de lui rendre hommage. Et de fait, leur livre permet effectivement de mieux connaître ce curieux personnage ... qui était encore plus fou qu'on ne le pensait.

Mais l'humour monstre et le comportement truculent de Charlie Schlingo cache tout de même un réel mystère. Qui était vraiment cet homme qui, un peu comme le professeur Choron (ils se sont en fait bien connus), osait se permettre les plus épouvantables grossièretés. Imaginez en effet un dessinateur de BD qui se saoule dans un restaurant, puis qui frappe les autres consommateurs pour des motifs débiles avant de vomir spectaculairement devant tout le monde. Peut-il être aussi un artiste ?

Jean-Pierre Dionnet, qui a publié ses BD dans "Métal" pendant un certain temps, lui avait ouvertement posé la question : "Es-tu un génie ou bien un con ?" Je vous laisse découvrir ci-dessous la réponse de Schlingo, qui ne manquait bien sûr jamais d'humour.

Pour Wolinski, qui a publié ses premières BD dans "Charlie", la question se posait en d'autres termes : Qu'est-ce que cet orphelin que nous a laissé Popeye ? En fait, ce point de vue était plutôt "bédéphilique", car Popeye était le modèle de BD revendiqué par Schlingo. Il ne nous aide pas du tout à éclaircir le mystère.

Mais alors, oui ! Comment définir un dessinateur comme Schlingo ? Comme un artiste incompris (c'est un peu trop naïf) ? Comme un banal alcoolique impénitent (c'est trop réducteur) ? Comme une formidable personnalité anti-sociale (c'est trop psychanalytique) ? Comme un enfant martyrisé qui a pris sa revanche (un peu trop simpliste) ? Comme un OVNI (on admet alors notre échec) ? Ou tout simplement comme un mélange de tout cela ? La question reste ainsi en suspens pendant toute la lecture du livre, tandis que s'accumulent les anecdotes (et les gags) qui qui plongent parfois le lecteur dans une réelle perplexité. Charlie Schlingo est un vrai monstre que l'on n'arrive pas à résumer en une formule simple.

À la fois totalement drôle et complètement énigmatique, cette biographie d'un dessinateur (hélas en voie d'oubli) est une réussite totale. Et la remarque qui me parait la plus importante, c'est que l'utilisation du "médium bande dessinée" lui apporte sans aucune contestation possible un supplément original de style et d'humour. La BD se montre ainsi capable de produire des chefs d'œuvres qui ne sont comparables à nul autre.
C'est aussi pour cela que j'aime les "BD qui racontent la BD".
