En réponse à l'observation de notre ami Tarmac, j'aimerais dire que Marc Jailloux ne se contente pas d'épouser le trait de Jacques Martin. Il ne s'agit absolument pas d'un simple mimétisme. Marc Jailloux réussit le tour de force de parfaitement fondre sa recherche du style martinien le plus classique avec un style qui lui est propre, se reconnaît aussitôt et constitue pour moi le vrai miracle de son art : non la seule reproduction littérale, mais une recréation idéale à la fois pleinement martienne et pleinement Jaillouxienne. Cela m'avait frappé lorsque j'avais commenté
La dernière conquête il y a quelques années :
https://lectraymond.forumactif.com/t705p125-la-derniere-conquete#66052Dans le cas de la représentation des personnages par Albertini, il ne s'agit pas seulement d'un écart avec l'esprit graphique de la série, mais souvent de disgrâce et de lourdeurs stylistiques à la limite parfois de la maladresse - il suffit de voir la couverture pataude du nouvel album. D'ailleurs, certains des continuateurs, déjà du vivant de Jacques Martin, s'écartaient de la lettre du trait martinien, sans pour autant donner l'impression de contredire et trahir l'esprit des personnages.
Aujourd'hui encore, le dessin de Marco Venanzi par exemple, sans suivre pourtant de façon rigoureusement intime le trait de Jacques Martin, fait vivre les personnages selon ce que la logique de la série a peu a peu développé pendant 70 ans, les dotant par son interprétation très réussie d'une personnalité bien connue des lecteurs et qui, si elle a évolué, maintient cependant ce qu'on appelle une individualité comme celle des personnes réelles que nous connaissons depuis des années. Le trait d'Albertini, la transformation psychologique qu'il imprime aux visages et le comportement qui effectivement en ressort sont une rupture de ce devenir, une rupture d'autant plus choquante que ces albums prétendent s'inscrire dans une période intermédiaire entre
La tiare d'Oribal et la période du classicisme martinien. Si Jacques Martin avait voulu faire d'Aix ce qu'en font ces auteurs, cela se saurait. Or il ne l'a pas fait. Il faut donc respecter sa conception des personnages, même si ceux-ci peuvent et doivent s'enrichir de nouvelles facettes, révéler des aspects inconnus d'eux-mêmes - Jacques Martin l'a lui-même fait avec Enak et ses fluctuations de comportement, mais pas au point où cela deviendrait une torsion totale qui ferait du personnage une caricature de lui-même.
C'est comme si Albertini et David avaient créé un Alix parallèle doté d'autres caractéristiques tout en prétendant l'inscrire dans une continuité. Cela personnellement me heurte aussi car j'y vois une forme d'irrespect consistant à s'emparer d'une série patrimoniale puis d'en faire ce qu'on en veut, et permettant aussi de couvrir de ces prétextes pieux une réelle maladresse. Voyez par exemple comment "Alix Senator" tout en apportant des inflexions majeures à la série tant sur le plan psychologique que le plan graphique, ne donne jamais de tels sentiments, c'est le moins qu'on puisse dire !
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'une continuation doit être une reproduction figée du passé - ce qui n'est absolument pas le cas de ce que fait Marc Jailloux, j'y insiste - et j'accueille plutôt volontiers les renouvellements stylistiques quand ils sont talentueux et capables de porter en eux l'esprit de l'univers qu'ils célèbrent. Je pense par exemple à l'exceptionnel travail de Johan Sfarr et Christophe Blain dans
Amertume apache, qui ont su sublimer l'univers de Blueberry, en le réinterprétant visuellement d'une façon profondément originale et cependant parfaitement juste.
Le problème avec les albums de David et d'Albertini c'est qu'ils manquent justement de ce talent, sauf pour les décors, cela je le reconnais volontiers, je l'avais d'ailleurs dit au moment de la parution de
Veni Vidi Vici. Mais les décors ne sont pas tout : au centre il doit y avoir les personnages crédibles si l'on se place dans la perspective d'un véritable hommage.
Sinon, il faut créer une autre série réellement extérieure et parallèle que je propose d'appeler : Alix Brutus.