J'aime bien la "BD qui raconte la BD", vous le savez déjà, et je ne pouvais donc pas manquer ces deux albums importants qui sont parus cet automne.
La lecture ce des deux livres a produit des sentiments contrastés. J'ai commencé bien sûr avec la
Marque Jacobs, un album très classique, dessiné dans un style ligne claire.
Je savourais d'avance cette biographie de Jacobs en images et ... elle m'a un peu déçu. Cette BD est certes admirablement "travaillée", et très documentée. Elle respecte de façon scrupuleuse la biographie de Jacobs mais il lui manque un petit quelque chose. Cela pourrait être un grain de folie, ou un peu plus de tension dans le récit. Cela pourrait être plus simplement une idée originale, bref quelque chose qui suscite la curiosité et qui donne l'envie de tourner les pages du livre. Cette oeuvre ne propose malheureusement qu'une suite "d'images d'Epinal", avec des anecdotes bien connues et des séquences prévisibles.
Rodolphe, le scénariste, a t-il eu un peu trop de scrupules, en racontant la vie d'une légende de la BD ? En fait, ce n'est pas un mauvais livre, loin de là ! Certains passages sont bien sentis et la fin de Jacobs est racontée avec une certaine émotion, mais il y a un peu trop de respect. Je ne peux m'empêcher de regretter la verdeur et le rythme de
Gringos Locos, par exemple, qui était une vraie BD. J'en viens à conclure qu'il n'est pas facile d'être à la hauteur de son sujet.
A côté de cette biographie sage, il y a le sulfureux livre de Laurent Colonnier ! Nous l'avions tous (et moi le premier) condamné d'avance. Penser que la relation d'Hergé et de Tchang puisse être de nature homosexuelle, c'était non seulement une sottise et un sacrilège, mais aussi une grossière erreur. Quand on lit ce livre, pourtant, on surprend à croire que cela pourrait être possible. Il faut dire que l'auteur est habile, qu'il procède essentiellement par allusions, en détournant légèrement le sens de certaines anecdotes.
Avant de s'intéresser à l'identité sexuelle de ces personnages, Colonnier a l'habileté de raconter en détail la vie d'Hergé avec son épouse ou dans son lieu de travail. Son récit très documenté reconstitue avec soin de la vie du dessinateur en 1934, et le résultat est dans l'ensemble très convainquant. Il invente bien sûr certaines anecdotes, mais avec beaucoup d'habileté, et l'on finit par accepter ce qu'il raconte. Il y a par ailleurs des traits d'humour tout à fait bienvenus, qui démontrent une réelle connaissance (et une certaine admiration) de l'oeuvre d'Hergé.
La grande amitié de Georges et de Tchang (que personne ne conteste) avait-elle un caractère amoureux ? On peut le croire, en lisant ce livre, de même qu'on peut le réfuter. Colonnier ne fait qu'introduire dans son histoire deux ou trois séquences équivoques, que chacun interprétera finalement à sa manière. En fait, dans ce récit assez dense, riche en personnages réels et en faits authentiques, on finit par se demander ce que Colonnier a réellement inventé ?
La comparaison de ces deux livres aboutit ainsi à un curieux résultat. La biographie que tout le monde attendait avec beaucoup d'espoir se révèle un peu décevante, tandis que le "vilain petit canard" (si j'ose utiliser cette métaphore) a créé un livre tout à fait passionnant à lire.
Il faut parfois oser acheter les livres que l'on n'aime pas.