ATTENTION ! CHEF D’ŒUVRE !

La Seconde Guerre Mondiale, que ce soit ses préquelles ou ses conséquences, inspire beaucoup les auteurs en ce moment. Ainsi L’ordre du jour, prix Goncourt 2017, traite de l’Anschluss, et l’encore plus remarquable La Disparition de Josef Mengele, prix Renaudot 2017, évoque le destin minable d’un des bourreaux d’Auschwitz. Et voilà que Claire Fauvel signe une remarquable adaptation en BD du roman éponyme de Julia Billet, paru en 2012, et redevenu d’actualité : La guerre de Catherine.
Cette BD raconte la vie de Rachel Cohen, une jeune adolescente juive, durant l’Occupation. L’histoire commence en région parisienne, puis se déplace à Riom, Limoges et dans les Pyrénées. En fait, à l’instar de la chanteuse Barbara, l’héroïne doit régulièrement changer de cachette pour échapper aux rafles de Vichy et des nazis. Nous assistons à la naissance de sa passion pour la photographie. Rachel est un Robert Doisneau en herbe, et le célèbre artiste est d’ailleurs mentionné : « Robert, qu’il s’appelle. Il photographie tout ce qui bouge. Les gamins, les passants, les passants, les amoureux… tout le monde y passe ». On peut aussi s’interroger sur l’appareil photographique. Certes, Rolleiflex est le nom d’une marque prestigieuse, commercialisant des appareils fabriqués en Allemagne (…), et encore présente aujourd’hui (le portrait officiel de François Hollande, présent dans toutes les mairies de France entre 2012 et 2017 !). Certes donc. Mais Rolleiflex peut aussi être perçu comme le compagnon d’errance de Rachel. Il est en quelque sorte le deuxième héros du livre, celui qui jamais ne l’abandonnera et qui lui permettra de rencontrer l’amour. Les différentes photographies du Rolleiflex bâtissent un témoignage intime de la vie quotidienne pendant l’Occupation, et lui donne vie et authenticité. Rachel Cohen nous est d’ailleurs dépeinte comme une artiste talentueuse, au point que ses clichés seront exposés dans une galerie en 1946. Julia Billet parle fort bien du 6ème art : « Parfois, j’ai l’impression que les images préexistent dans un monde invisible. Nous nous contentions de les révéler ».
La BD est d’une richesse époustouflante. Derrière une œuvre mettant en scène des enfants, se cache un livre pour les adultes. Rachel Cohen, comme Anne Frank, est une enfant de la guerre. Et le drame de la Shoah est caché derrière toutes les pages. Néanmoins, nulle haine ne transparait. Tout d’abord, Julia Billet magnifie les justes, ces français ayant pris des risques énormes pour cacher et protéger les juifs. Puis, en filigrane, l’auteur parle aussi de la Collaboration, de ce conflit qui déchire les français. Ainsi la mère supérieure du couvent où Rachel se cache déclare : « Certains fervents croyants n’en sont pas moins des fervents collaborateurs. Méfie-toi de tous, même du curé. A la confession, ne dis rien de ton passé ». On retrouve un peu le même refus du manichéisme chez Gibrat, dans Le Vol du Corbeau, où le Commissaire n’est ni bon, ni méchant. Le sujet a aussi été traité par Fabien Nury dans Il était une fois en France où Joseph Joanovici assied sa fortune sur une frontière trouble, entre moralité et immoralité. Enfin, Julia Billet va plus loin que ses illustres ainés en abordant le sujet de la Wehrmacht. Et, clairement, Rachel va être sauvée par un modeste soldat, apprenti photographe, comme elle, et qui va la prévenir d’une rafle : « Même chez les allemands, il y a des gens qui se battent contre la guerre. C’est forcément le signe que cette folie cessera ». Cet optimisme, cette indéracinable foi dans le futur, quelques soient les tragédies, sont la signature de cette BD. Ainsi Alice, la petite sœur adoptive de Rachel, retrouvera son frère et reconstruira sa vie. Antoine, le résistant, et Cristina, son épouse, ont un enfant. Quant au destin de l’héroïne, je laisse le lecteur le découvrir…. Foi en l’être humain ne veut d’ailleurs pas dire naïveté. Les séquelles de la guerre sont terribles. Rachel va perdre ses parents et des amies. Antoine, le résistant perd son bras, et on ne sait pas où Étienne, le photographe a perdu sa jambe.
Le sujet de l’identité religieuse est abordé dans la BD. Ainsi, Rachel, pour se fondre dans la population et éviter d’être suspectée, va faire sa Profession de Foi. Elle va aussi convaincre 3 petites filles juives de consommer du porc, malgré l’interdit : « Je suis comme vous, je n’ai pas le droit de manger cette viande normalement…. Dieu comprend ça, il est sage et bienveillant ». Le titre de la BD repose d’ailleurs sur cette problématique. En effet, Rachel Cohen va devoir changer de nom pour mieux se cacher. Et elle s’appellera Catherine Colin durant toutes les années noires. Cependant, comme le dit le philosophe Korzybski, « la carte n’est pas le territoire ». Rachel et Catherine sont une même personne, une enfant généreuse, passionnée et quelque peu dépassée par les évènements. En fait, la pensée de l’héroïne est résumée au tout début de l’ouvrage : « J’ai beau être juive, je n’ai jamais vraiment cru en Dieu ». La tragédie la Shoah est toute entière là : un génocide qui ne repose sur rien si ce n’est la folie.
Il convient aussi de noter que Julia Billet fait commencer son intrigue en banlieue parisienne, à Sèvres, dans la Maison d’enfants. Ce lieu est réel, https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_d%27enfants_de_S%C3%A8vres, et des enseignants passionnés y ont pratiqué une pédagogie libertaire, basée sur l’observation et la responsabilisation des enfants. Le même type d’établissement, la célèbre Summerhill School : https://fr.wikipedia.org/wiki/Summerhill_School, connut une grande notoriété dans les années 1970. Les directeurs de la Maison d’enfants, appelés ici par leurs pseudonymes, Goéland et Pingouin, ont enseigné à des générations d’enfants dont certains devenus célèbres comme le mime Marceau ou Paul-Emile Victor. Un petit dossier comprenant des photographies d’archives complète la BD et nous invite à pousser la porte de ce lieu si atypique.
Le graphisme de Claire Fauvel se marie parfaitement avec le scénario de Julia Billet. L’artiste affiche clairement sa filiation avec le monde de l‘illustration. Chaque vignette crée une ambiance tendre, empreinte de finesse et de retenue. Les mouvements sont suggérés avec une grande délicatesse. Les traits sont « ronds » et je ne suis pas certaine que la dessinatrice ait même crayonné ou encré avant de passer aux pinceaux. Les couleurs respirent aussi la douceur. Aucune n’est tranchée et les contrastes sont inexistants. Tout se passe comme si la BD était une succession d'aquarelles. En fait, Fauvel applique la même règle que Rachel utilise pour ses photographies : « L’heure du midi n’offre aucune ombre, aucune place aux demi-teintes ni aux clairs-obscurs ». Les années 1940 sont parfaitement restituées, et on imagine une solide documentation, et tant la Citroën Traction Avant que le bus Renault font plus vrais que nature. Enfin, la dessinatrice nous offre moult clichés pris par l’héroïne. Fauvel nous prend par la main et nous invite à découvrir une comédie humaine, à rêver devant tous ses visages et à imaginer les destins, les joies, les peines, les projets derrière les postures et les regards. La BD en acquière encore plus de substance.


En conclusion, on retrouve donc dans la BD l’idée de l’histoire broyeuse et destructrice de destins, celle si bien mise en scène par Vittorio Giardino dans Jonas Fink. La guerre a ainsi volé l’enfance de toute une génération. Cependant, Rachel, malgré les deuils, en sort grandie et sans haine: « J’ai besoin de m’empreindre du monde, de voyager, d’aller à la rencontre d’ailleurs et des autres ». Le message du livre est donc un message positif de croyance dans le futur et dans l’humanité. La guerre de Catherine est une œuvre très émouvante, un chef d’œuvre d'humanisme. Elle concourt d'ailleurs pour un grand prix au festival d’Angoulême 2018 : http://www.bdangouleme.com/347,prix-bd-des-collegiens. Souhaitons-lui bonne chance.

La Seconde Guerre Mondiale, que ce soit ses préquelles ou ses conséquences, inspire beaucoup les auteurs en ce moment. Ainsi L’ordre du jour, prix Goncourt 2017, traite de l’Anschluss, et l’encore plus remarquable La Disparition de Josef Mengele, prix Renaudot 2017, évoque le destin minable d’un des bourreaux d’Auschwitz. Et voilà que Claire Fauvel signe une remarquable adaptation en BD du roman éponyme de Julia Billet, paru en 2012, et redevenu d’actualité : La guerre de Catherine.
Cette BD raconte la vie de Rachel Cohen, une jeune adolescente juive, durant l’Occupation. L’histoire commence en région parisienne, puis se déplace à Riom, Limoges et dans les Pyrénées. En fait, à l’instar de la chanteuse Barbara, l’héroïne doit régulièrement changer de cachette pour échapper aux rafles de Vichy et des nazis. Nous assistons à la naissance de sa passion pour la photographie. Rachel est un Robert Doisneau en herbe, et le célèbre artiste est d’ailleurs mentionné : « Robert, qu’il s’appelle. Il photographie tout ce qui bouge. Les gamins, les passants, les passants, les amoureux… tout le monde y passe ». On peut aussi s’interroger sur l’appareil photographique. Certes, Rolleiflex est le nom d’une marque prestigieuse, commercialisant des appareils fabriqués en Allemagne (…), et encore présente aujourd’hui (le portrait officiel de François Hollande, présent dans toutes les mairies de France entre 2012 et 2017 !). Certes donc. Mais Rolleiflex peut aussi être perçu comme le compagnon d’errance de Rachel. Il est en quelque sorte le deuxième héros du livre, celui qui jamais ne l’abandonnera et qui lui permettra de rencontrer l’amour. Les différentes photographies du Rolleiflex bâtissent un témoignage intime de la vie quotidienne pendant l’Occupation, et lui donne vie et authenticité. Rachel Cohen nous est d’ailleurs dépeinte comme une artiste talentueuse, au point que ses clichés seront exposés dans une galerie en 1946. Julia Billet parle fort bien du 6ème art : « Parfois, j’ai l’impression que les images préexistent dans un monde invisible. Nous nous contentions de les révéler ».
La BD est d’une richesse époustouflante. Derrière une œuvre mettant en scène des enfants, se cache un livre pour les adultes. Rachel Cohen, comme Anne Frank, est une enfant de la guerre. Et le drame de la Shoah est caché derrière toutes les pages. Néanmoins, nulle haine ne transparait. Tout d’abord, Julia Billet magnifie les justes, ces français ayant pris des risques énormes pour cacher et protéger les juifs. Puis, en filigrane, l’auteur parle aussi de la Collaboration, de ce conflit qui déchire les français. Ainsi la mère supérieure du couvent où Rachel se cache déclare : « Certains fervents croyants n’en sont pas moins des fervents collaborateurs. Méfie-toi de tous, même du curé. A la confession, ne dis rien de ton passé ». On retrouve un peu le même refus du manichéisme chez Gibrat, dans Le Vol du Corbeau, où le Commissaire n’est ni bon, ni méchant. Le sujet a aussi été traité par Fabien Nury dans Il était une fois en France où Joseph Joanovici assied sa fortune sur une frontière trouble, entre moralité et immoralité. Enfin, Julia Billet va plus loin que ses illustres ainés en abordant le sujet de la Wehrmacht. Et, clairement, Rachel va être sauvée par un modeste soldat, apprenti photographe, comme elle, et qui va la prévenir d’une rafle : « Même chez les allemands, il y a des gens qui se battent contre la guerre. C’est forcément le signe que cette folie cessera ». Cet optimisme, cette indéracinable foi dans le futur, quelques soient les tragédies, sont la signature de cette BD. Ainsi Alice, la petite sœur adoptive de Rachel, retrouvera son frère et reconstruira sa vie. Antoine, le résistant, et Cristina, son épouse, ont un enfant. Quant au destin de l’héroïne, je laisse le lecteur le découvrir…. Foi en l’être humain ne veut d’ailleurs pas dire naïveté. Les séquelles de la guerre sont terribles. Rachel va perdre ses parents et des amies. Antoine, le résistant perd son bras, et on ne sait pas où Étienne, le photographe a perdu sa jambe.
Le sujet de l’identité religieuse est abordé dans la BD. Ainsi, Rachel, pour se fondre dans la population et éviter d’être suspectée, va faire sa Profession de Foi. Elle va aussi convaincre 3 petites filles juives de consommer du porc, malgré l’interdit : « Je suis comme vous, je n’ai pas le droit de manger cette viande normalement…. Dieu comprend ça, il est sage et bienveillant ». Le titre de la BD repose d’ailleurs sur cette problématique. En effet, Rachel Cohen va devoir changer de nom pour mieux se cacher. Et elle s’appellera Catherine Colin durant toutes les années noires. Cependant, comme le dit le philosophe Korzybski, « la carte n’est pas le territoire ». Rachel et Catherine sont une même personne, une enfant généreuse, passionnée et quelque peu dépassée par les évènements. En fait, la pensée de l’héroïne est résumée au tout début de l’ouvrage : « J’ai beau être juive, je n’ai jamais vraiment cru en Dieu ». La tragédie la Shoah est toute entière là : un génocide qui ne repose sur rien si ce n’est la folie.
Il convient aussi de noter que Julia Billet fait commencer son intrigue en banlieue parisienne, à Sèvres, dans la Maison d’enfants. Ce lieu est réel, https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_d%27enfants_de_S%C3%A8vres, et des enseignants passionnés y ont pratiqué une pédagogie libertaire, basée sur l’observation et la responsabilisation des enfants. Le même type d’établissement, la célèbre Summerhill School : https://fr.wikipedia.org/wiki/Summerhill_School, connut une grande notoriété dans les années 1970. Les directeurs de la Maison d’enfants, appelés ici par leurs pseudonymes, Goéland et Pingouin, ont enseigné à des générations d’enfants dont certains devenus célèbres comme le mime Marceau ou Paul-Emile Victor. Un petit dossier comprenant des photographies d’archives complète la BD et nous invite à pousser la porte de ce lieu si atypique.
Le graphisme de Claire Fauvel se marie parfaitement avec le scénario de Julia Billet. L’artiste affiche clairement sa filiation avec le monde de l‘illustration. Chaque vignette crée une ambiance tendre, empreinte de finesse et de retenue. Les mouvements sont suggérés avec une grande délicatesse. Les traits sont « ronds » et je ne suis pas certaine que la dessinatrice ait même crayonné ou encré avant de passer aux pinceaux. Les couleurs respirent aussi la douceur. Aucune n’est tranchée et les contrastes sont inexistants. Tout se passe comme si la BD était une succession d'aquarelles. En fait, Fauvel applique la même règle que Rachel utilise pour ses photographies : « L’heure du midi n’offre aucune ombre, aucune place aux demi-teintes ni aux clairs-obscurs ». Les années 1940 sont parfaitement restituées, et on imagine une solide documentation, et tant la Citroën Traction Avant que le bus Renault font plus vrais que nature. Enfin, la dessinatrice nous offre moult clichés pris par l’héroïne. Fauvel nous prend par la main et nous invite à découvrir une comédie humaine, à rêver devant tous ses visages et à imaginer les destins, les joies, les peines, les projets derrière les postures et les regards. La BD en acquière encore plus de substance.



En conclusion, on retrouve donc dans la BD l’idée de l’histoire broyeuse et destructrice de destins, celle si bien mise en scène par Vittorio Giardino dans Jonas Fink. La guerre a ainsi volé l’enfance de toute une génération. Cependant, Rachel, malgré les deuils, en sort grandie et sans haine: « J’ai besoin de m’empreindre du monde, de voyager, d’aller à la rencontre d’ailleurs et des autres ». Le message du livre est donc un message positif de croyance dans le futur et dans l’humanité. La guerre de Catherine est une œuvre très émouvante, un chef d’œuvre d'humanisme. Elle concourt d'ailleurs pour un grand prix au festival d’Angoulême 2018 : http://www.bdangouleme.com/347,prix-bd-des-collegiens. Souhaitons-lui bonne chance.

Dernière édition par eleanore-clo le Dim 14 Jan - 20:04, édité 1 fois