Bonjour
En ce dimanche de carême (
), je vous propose d'aborder le thème de la religion dans les couvertures de BD. Et je vais encore un petit peu tricher (Sébastien, pardonnez-moi, mais en cette période d'élection présidentielle, tout est possible
)... Les couvertures seront extraites du
Journal de Tintin et de
Spirou.
Hergé fut scout et sa carrière a décollé avant guerre grâce au supplément d'un journal d'obédience catholique :
Le Petit vingtième.
A la Libération, Hergé fut recruté par Raymond Leblanc qu'on ne peut pas soupçonné d'être bigot. Néanmoins, dans sa nouvelle rédaction, l'artiste a produit de superbes couvertures d'inspiration religieuse. Les grandes fêtes telles Noël ou Pâques furent l'objet de magnifiques couvertures.
En voici deux produites pour le 25 décembre 1947 et pour le 23 décembre 1948. La première illustre la "famille" Tintin se rendant à la messe de minuit. Les personnages sont tournés vers une église que domine une étoile du berger, pour bien montrer que le cœur de l'image se situe là. De plus, une fenêtre éclairée attire le regard. Seul Tournesol, perdu dans son univers, échappe à cette règle. Ainsi que Milou (mais les chiens ne sont pas baptisés
) qui nous regarde. La couverture est tout entière blanc bleutée ce qui génère une sensation de froid, renforcée par la buée de la respiration des personnages. La deuxième couverture est plus percutante. Le choix de représenter Tintin, Haddock, les Dupont et Tournesol à genoux devant une crèche est très fort. Hergé nous invite à reconnaitre la suprématie de Jésus, et donc celle du spirituel sur le matériel. Milou et Tournseol sont cette fois-ci accrochés à la scène et rentrent dans le rang. L'arrière plan est peint avec un grand aplat jaune, presque criard tellement il est fort. Du coup, la crêche, le sapin et les personnages ressortent bien plus. Hergé a aussi dessiné une bible, à gauche de Tintin. L'étoile du Berger est aussi présent, sur le toit de la crèche. Nous avons donc là une image pieuse, du style de celles qui étaient distribuées au catéchisme. Une telle couverture serait difficilement publiable aujourd'hui tant son message est orthodoxe.
Hergé fait vivre ses héros à la campagne et ils vont donc à la messe en marchant dans la nature. Franquin est beaucoup plus urbain et a pris ses distances avec la foi comme l'a démontré son refus de faire figurer nombre d'images religieuses dans l'intégrale Rombaldi. Voici donc la couverture du
Spirou du 22 décembre 1955. La scène est un nocturne mais, a contrario d'Hergé, l'église n'est plus le pôle central de l'image. La vie existe tout autour. Les appartements sont éclairés. De même, les magasins sont encore ouverts, ainsi qu'un restaurant devant lequel Franquin s'est représenté (il est juste sur le rebord du trottoir, à droite de l'enseigne suspendue et à côté de son épouse en manteau de fourrure). Un cinéma accueille des spectateurs. D'autres personnages reviennent du travail comme Yvan Delporte, le rédacteur en chef de
Spirou (en bas et à gauche de la couverture, juste à côté du panneau de stationnement interdit). En fait, une foultitude de personnages peuple la couverture, chacun avec sa vie. Cela fait penser au
Dénombrement de Bethléem de Brueghel. La couverture d'Hergé est contemplative, silencieuse. Celle de Franquin est dynamique. Un gamin essaye d'échapper à la main de son père, des personnes se saluent, des voitures roulent. Le Noël de Franquin est donc séculier.
L'action n'est plus située dans une campagne anonyme et donc universelle. Nous sommes ici dans un village de Belgique ou des Pays-Bas, comme en témoignent le canal et la maison à pignon.
Les deux artistes se rapprochent quant aux couleurs. Franquin comme Hergé, choisit une dominante hivernale, blanc, bleutée. Et bien évidemment, la neige est présente (le réchauffement climatique n'existe pas encore !). Enfin, l'esprit de Noël demeure. Et là-aussi, les héros, Spirou, Fantasio, flanqués de Spip, se dirigent vers l'église. L'absence du Marsupilami est d'ailleurs surprenante pour une illustration datant de 1955. Peut être Franquin a-t-il repris une idée ancienne ?
En guise cerise sur le gâteau, je vous offre (
) la couverture du
Spirou du 3 décembre 1953, rarement présente sur le Net.
Voilà, j'adore ces couvertures et je suis très heureuse de vous les présenter. Elle me rappelle mon enfance, lorsque toute la famille se rendait à l'église pour la messe de minuit. Alors que les media dramatisent notre quotidien, le représentant tous les jours plus triste et laid, peut être pourrions-nous évoquer l'après-guerre, une période pas non plus facile, et néanmoins, capable d'être heureuse ?
Bon dimanche
Eléanore