Je n'ai jamais lu cette série : ce que tu en révèles à travers l'étude très attentive de cette couverture que moi aussi je trouve très belle me donne envie de la découvrir !
Je proposerai aujourd'hui, une seconde couverture des aventures de Michel Vaillant, celle du tome 6,
La trahison de Steve Warson. Cet opus est un tournant dans la série, car il inaugure l'approche du côté sombre du pilote américain. Certes, celui-ci s'était initialement dévoilé dans Le grand défi, sous les traits d'un champion supérieur, hautain, inabordable, écrasant Michel Vaillant de sa morgue , mais l'aventure s'était achevée par une alliance entre les deux hommes qui étaient alors devenus deux solides amis. Le pilote américain n'avait d'ailleurs pas révélé de fragilité secrète dans ce premier épisode qu trait plutôt de la rivalité entre un champion avéré et un jeune rival encore novice.
Avec La trahison de Steve Warson, Michel Vaillant va occuper une nouvelle position dans leur couple d'amis : celui du frère ainé loyal, tandis que Steve assumera pour la première fois la dimension tragique qui ne cessera dès lors de le tourmenter à intervalles réguliers. Au terme de cette aventure, Steve, contraint de trahir en raison d'un chantage dont il est victime, décidera de disparaître, le coeur bourrelé de remords. Il ne reviendra sur la scène que trois albums plus tard, en 1965, le neuvième épisode intitulé Le retour de Steve Warson, sous les traits d'un homme sans défense que Michel doit secourir. Peut-être quelqu'un d'entre nous aura envie envie de commenter la couverture de cet épisode. Je n'en dirai donc rien pour l'instant, sinon que l'attitude des personnage exprime évidemment le désarroi jeté dans leur monde par la décision narrative de Jean Graton, tout particulièrement la position de Steve qui évoque symboliquement l'idée de chute.
Par la suite, la face cachée et tragique de Steve Warson connaîtra des déclinaisons plus sombres encore, avec l'apparition de Ruth et le dévoilement de son origine. Steve sera non seulement un héros fragile, mais deviendra même un anti-héros capable d'une trahison bien plus grave et dépourvue de culpabilité en pactisant avec l'écurie du Leader, dans le 56° épisode publié en 1993 et intitulé
Le maître du monde.
Malgré cela, dans l'épisode 57, daté de 1994
La piste de Jade, Michel, cette fois accompagné de Julie Wood, partira une fois de plus à son secours. Il faudra attendre le volume n° 59, La prisonnière, en 1997, pour qu'une réconciliation ait lieu autour du sauvetage de Ruth. Les deux pilotes s'affronteront cependant une nouvelle fois quelques albums plus tard, en 2003, avec
L'épreuve, soixante-cinquième tome de la série. L'affrontement se poursuivra dans l'album suivant,
100.000.000 $ pour Steve Warson, en 2004.
C'est dire si La trahison de Steve Warson inaugure un pan majeur de la série, sur un mode encore proche de l'éthique des débuts, celle dans laquelle même la trahison d'un héros n'abolit pas pour autant sa grandeur dans la mesure où il en éprouve du remords et cherche ensuite à se racheter. Par la suite, l'humanisation de Steve Warson se fera dans le sens d'un réalisme psychologique plus accusé et plus amer.
L'exploitation de cette veine donner à Steve le statut de candidat régulier à la noirceur plus ou moins noble, d'une façon quelquefois un peu artificielle du fait de son systématisme. D'un autre côté, cette orientation présente l'intérêt d'introduire à travers lui une catégorie de personnage intermédiaire entre le héros et le méchant, telle que Steve Warson soit quelquefois un véritable anti-héros. Voilà bien une forme d'incarnation qu'on aurait eu du mal à imaginer du temps où la quatrième de couverture des albums célébrait une morale de la franchise et du courage.
De ce point de vue, la couverture de La trahison de Steve Warson présente un très grand intérêt, aussi bien relativement au contenu immédiat de l'album et la suite que lui donne Le retour de Steve Warson, mais aussi peut être considérée comme une sorte de pressentiment visuel de la suite du destin du personnage, bien des volumes plus tard. Le visage du pilote flotte en effet en gros plan et en surimpression d'un épisode de course acharnée, exprimant par son regard et la crispation de sa bouche une angoisse évidente qui témoigne de la souffrance que sa trahison secrète le conduit à éprouver. La blancheur de son visage fait de lui une sorte de fantôme, ce qu'il deviendra en effet pendant les trois épisodes suivant en disparaissant purement et simplement du monde habituel de Michel Vaillant, pour ne plus être que la mémoire d'un absent, une voix tronquée au téléphone au cours d'un appel aussi bref et angoissant qu'inattendu, un absent confondu avec limbes d'un monde flottant où Michel doit accepter de descendre à son tour afin de le ramener à la lumière du jour.
Cette thématique du fantôme le poursuivra d'ailleurs au cours des épisodes consacrés à Ruth, qu'il s'agisse de l'étrange destin contradictoire du père de celle-ci, le Leader, de la jeune femme elle-même, ou de Steve à chacune de ses disparitions. Quelque chose mine l'univers de Michel Vaillant à travers l'apparent héros solaire qu'incarne Steve Warson, qui se retrouvera plus tard, déplacé en direction de Michel et de Jean-Pierre, dans les albums de la "Nouvelle saison". Mais bien avant ces épisodes plus lointains ou nés d'une autre époque avec le retrait de Jean Graton, le thème du fantôme reviendra une première fois dans la série avec l'épisode 12,
Les chevaliers de Königsfeld, en 1967 (la couverture présente le même fond jaune que celle du
Retour de Steve Warson), mais surtout dans l'épisode 17,
Le fantôme des 24 heures, en 1970, où pour la première fois, le Leader joue le rôle du fantôme.
Dans ce dernier, le fantôme flotte au-dessus de la scène, mais il est "sans visage" et menace directement Michel Vaillant, dans un instant suspendu de vision fantastique, dont on ne sait si elle relève du cauchemar, du fantasme, de la véritable apparition ou de la hantise. Bien plus tard, Le Leader étant mort depuis longtemps, dans la "Nouvelle saison", c'est Jean-Pierre qui risquera de devenir à son tour fantôme au volant de la mystérieuse limousine noire du Leader, dans
Collapsus, tome 4 de celle-ci, publié en 2015.
La couverture initiale de La trahison de Steve Warson possède un élément hautement symbolique par l'existence de l'écusson représentant le visage de Michel Vaillant, en petit format couleur, selon le logo de la série à cette époque. Alors que le visage de Steve en gros plan est tourné de côté, celui de Michel nous fait face et semble en dépit de sa petite taille celui d'une divinité juvénile inébranlable et souriante, par opposition au grand portrait blanc, transparent et tourmenté de Steve. Plus tard, ce logo disparaissant, la couverture de l'album se simplifiant donnera à la présence du visage angoissé encore plus de place et de puissance dramatique.
Cette couverture met en relation très dynamique le visage de Steve avec l'épisode de course endiablée auquel il se superpose. Ce choix qui évoque beaucoup le style de nombreuses affiches de cinéma de l'époque, Une Vaillante, aux prises avec la voiture numéro 1, pilotée par Bob Cramer pour les Texas Drivers, illustre un des enjeux apparents de ce que nous raconte l'album. La couverture réunit en réalité tous les niveaux de l'histoire, y compris le plus intime, celui qui explique la trahison de Steve, sans rien nous révéler de ce secret qui ne sera révélé qu'à la toute fin de l'album. Simplement, en faisant flotter le visage de Steve au-dessus de la course, l'auteur établit subtilement un lien entre le pilote et la bataille automobile qui se livre en dessous de lui, d'autant plus qu'une partie du paysage traverse son visage.
L'esthétique de cette couverture jouant des transparences, du blanc et de l'usage intense des couleurs primaires, évoque également d'avance la couverture de Mach 1 pour Steve Warson, que j'ai déjà commentée il y a quelques temps. On remarque aussi que le fond de la piste est jaune et annonce l'usage de cette même couleur dans Le retour de Steve Warson et Les chevaliers de Königsfeld. La combinaison de Bob Cramer elle-même possède la même tonalité. Est-ce aussi une façon de souligner que dans cet album précis nous est racontée une affaire de "foies jaunes" ? Peut-être, mais l'usage du jaune est surtout lié à la puissance avec laquelle les à plats de ce jaune uni permet de produire de puissants contrastes dramatiques.
Avec cet album, le nom de Steve devient enfin un des éléments centraux du titre. Il connaîtra en effet en effet toute une série de déclinaisons, faisant de lui l'homme d'une trahison, mais aussi d'un retour, d'un exploit avec Mach 1 pour Steve Warson en 1968, d'un secret, d'un K.O., d'une opposition frontale et brutale avec son ami, dans Steve Warson contre Michel Vaillant en 1981, l'homme d'un contrat financier fabuleux dans 100.000.000 $ pour Steve Warson, sans oublier celui qui est pris dans les noeuds d'une machination galante avec Piège pour Steve Warson, dans une mini aventure de 1976. Qu sait ce que nous réserve l'avenir de la "Nouvelle saison", dans laquelle Steve semble provisoirement en très grand retrait ?