Pierre a écrit:
http://www.elvifrance.fr/CENSURE/comicsdaily.htm
Intéressante cette référence à la censure BD du site Elvifrance, Pierre ! Je ne connaissais pas.
Elvifrance : de MESSALINE à VENUS DE ROMEEn revanche j’ai tout un box de
fumetti per adulti « peplums » d’Elvifrance, dont une série qui a plusieurs fois changé de nom (et d’adresse d’éditeur) pour déjouer la vigilance de Dame Anastasie : MESSALINE – POPPEE – FULVIA et qui s’est finalement stabilisé sous le nom de VENUS DE ROME (1971-1973, 21 numéros pour ce dernier titre). Les trois premiers titres ont rarement dépassé les six numéros avant que ne tombe le couperet castrateur. Mais ici nous sommes dans les années ‘70 http://www.elvifrance.fr/Titres/Venus.htm c’est-à-dire encore dans les grandes années soixante-huitardes – soit, au cinéma, les grandes heures de gloire du porno de Jess Franco et consorts (loi Giscard). Je compte au moins 154 numéros dans l’édition italienne MESSALINA, mais je suis sans doute incomplet.
Toutefois, dans ce cas-ci, la censure vise une BD adulte et ça n’a plus rien à voir avec la BD catho des années ’50-’60… Pas le même public, pas la même époque.
Ces BD étaient très mauvaises, bâclées… mais de contenus très explicite. Je n’en ai lu qu’une poignée à l’époque où je fanzinais le film CALIGULA avec Malcolm McDowell ; mais en revanche j’en appréciais les superbes couvertures. Il me semble que Manara a dû bidouiller dans je ne sais laquelle de ces séries… ( http://www.elvifrance.fr/Hist_EF/Pourquoi.htm )
Sur la suggestion de Raymond, j’ai feuilleté cet après-midi LES LEGIONS PERDUES. En quête d’exemples de violence. A part les quatre pages gladiatoriennes, qui à mon sens n’offrent pas de quoi fouetter un chat (mais faut-il voir dans le contexte de l’époque ?). Le méchant s’assomme lui-même en chutant dans l’arène. Pas une goutte de sang ! Ca nous renvoie au cahier de charges « martinien » récemment évoqué par Marc Jailloux dans ALIX MAG, et dont j’ai traité ici :
https://lectraymond.forumactif.com/t1221p90-par-dela-le-styx#70406 A vrai dire, beaucoup moins BCBG, un petit format BD de quai de gare d’origine britannique et que j’aime beaucoup - OLAC LE GLADIATEUR (Chapelle éd., 1960-1968), a été confronté à la même problématique.
Entre deux batailles contre les Huns, les Germains, les Parthes ou les Beatles (oui, les Beatles, les Bitèles quoi), Olac - plus barbouze que gladiateur - devait bien de temps à autre descendre dans l’arène pour divertir son empereur… Il s’y battait amicalement contre ses potes, et parfois contre un vrai méchant sournois.
Anticipant l’archéologie expérimentale, cette BD sans prétentions avait, d’ue certaine manière, compris l’absurdité du cliché « gladiature = boucherie sanguinaire ». Mais il lui a fallu trouver bien des astuces pour ne pas contrevenir à la loi de 1949.
J’avais eu l’occasion d’en parler avec Pierre-Léon Dupuis - son repreneur français - mais il n’a jamais évoqué de problème avec la censure (seulement avec son patron Jean Chapelle !).
Pierre a écrit:A cette époque, il y avait de véritables règlements de compte entre la France et la Belgique, se souvient aujourd'hui Jacques Martin. Les Légions perdues et La Griffe noire ont été interdits à l'étalage pour ''incitation à la haine et à la violence''… On me reprochait d'avoir dessiné un cagoulard sur la couverture, et on voyait dans ces histoires des insinuations directes à la guerre d'Algérie…
Y’a bon BananiaLe racisme de LA GRIFFE NOIRE ? Ah oui, ce tueur africain calqué sur les Aniotos… les Hommes-Léopards ? (peut-être bien tirés de TINTIN AU CONGO, conspué de nos jours encore par les « belles consciences de gôche »). L’osmose Martin-Hergé ? Mais
quid alors des aventures de TARZAN ? Il est vrai qu’après la WWII, le cinéma post-colonial fait migrer les exploits de l’Homme-Singe plutôt vers l’Amérique du Sud ou l’Asie du Sud-Est.
ProtectionnismeIl me revient d’avoir lu quelque part les souvenirs de Jean-Jacques Schellens, directeur littéraire aux Editions Marabout, qui lui aussi évoque les difficultés de cet éditeur belge à diffuser ses livres en France dans les années ’50-’60. La thèse protectionniste me paraît donc assez crédible. Quand aux prétextes moraux évoqués par les censeurs… les excuses sont faites pour s’en servir, n’est-ce pas ? Bien sûr, il y aura aussi les effets de mode sociétale : voici belle lurette que Lucky Luke a troqué son éternel mégot contre un brin d’herbe. Mais bientôt on interdira l’herbe aussi (

), je suis bien tranquille… Big Brother…
De la BD au cinémaCe qui m’a toujours interpellé c’est la dichotomie entre la BD et le cinéma. Je la mets quelque part en relation avec la pédagogie. Quand j’étais gamin, à l’école, on n’avait pas le droit de lire Bob Morane (sous peine de confiscation) et je devais me taper les éditions expurgées d’H.G. Wells ou de H. Rider Haggard de la bibliothèque scolaire. Des classiques. Aujourd’hui mes anciens condisciples devenus enseignants sont bien heureux quand ils arrivent à faire lire Bob Morane aux chères petites têtes blondes (ah ! je devrais peut-être aussi censurer « blondes » ?).
Pourtant à l’époque, dans les
Sixties, j’allais le samedi soir dans un cinéma de mon quartier voir l’édifiante illustration de ce que j’apprenais en classe; mais quelle différence ! Jules César avait soumis la Belgique ? Au cinoche je voyais Rik Battaglia/Vercingétorix enlacer Dominique Willms/Astrid « reine des Belges » (JULES CESAR CONQUERANT DES GAULES, Amerigo Anton, 1962). Xerxès avait écrasé les Spartiates aux Thermopyles ? Je pénétrais sous sa tente et l’y trouvais reluquant ses bayadères (LA BATAILLE DES THERMOPYLES / LES 300 SPARTIATES, Rudolph Maté, 1962)

. Toutes choses que je ne risquais pas de retrouver dans Alix ou chez l’Oncle Paul.
Pourtant, BD ou films, l’un et l’autre atteignaient les enfants avec cette nuance que seuls les marmots étaient censés lire cette sous-littérature qu’était la BD, alors que le cinéma E.A. [enfants admis], raisonnablement filtré, visait un public populaire – le « grand public » – partageant nos valeurs sociétales bobos. Seul le méchant de service faisait des horreurs pas possibles à ses esclaves.
Raymond a écrit:Dans Alix, c'est plutôt la relative violence de certains combats (qui ne manquent pas dans les Légions perdues) et surtout l'efficacité du dessin de Jacques Martin qui a heurté les censeurs. Derrière son académisme, son graphisme est en effet très dynamique et certaines images peuvent être considérées comme terrifiantes (...)
La violence que signale Raymond à propos des LEGIONS PERDUES – je suppose qu’il pensait spécialement à ce combat de gladiateurs développé sur quatre pages –, cette violence donc je la retrouvais tous les samedis au cinéma, en plus saignant. En plus explicite. Tout en restant relativement
soft. Une image martinienne qui m’est restée en mémoire, même si je ne me rappelais plus dans quel album je l’avais vue (dans ces mêmes LEGIONS, en fait), c’était Crassus renversé, à qui Surena s’apprêtait à faire verser dans bouche de l’or en fusion. On ne voit pas les effets dévastateurs du supplice, mais on les suggère par leur imminence, comme les scènes de martyre dans la peinture néo-classique et/ou pompier (on n’est pas dans un film de George Romero ou d’Herschell Gordon Lewis !).