Parmi les multiples nouveautés de cet automne, je ne pouvais bien sûr pas manquer ce dernier et surprenant album d'Emmanuel Guibert. Il s'intitule
Martha et Alan et prolonge la série des "Mémoires d'Alan".
La première surprise ne provient pas de la couleur, mais surtout de la disposition de ses images. Il n'y a en effet plus de case. Des vignettes isolées s'étendent sur une double page et le livre se place à la limite du genre "bande dessinée", même s'il raconte bien une histoire.
La deuxième nouveauté par rapport à la série, c'est bien sûr la couleur qui est utilisée avec beaucoup d'art. Si les cases des précédents albums évoquaient de vieilles photos grisâtres, les pages de cette histoire sont en fait de grands tableaux aux teintes délicatement choisies. En plus de son récit (exposé par de simples récitatifs), Emmanuel Guibert nous offre ici un véritable recueil d'images, que l'on a du plaisir à contempler pour elles-mêmes.
Chaque double page devient ainsi une sorte d'estampe dont on admire le motif et les couleurs avant de s'intéresser au récit.
Mais faut-il parler de l'intrigue ? C'est en fait un mystère. Vous savez déjà qu'un jeune dessinateur (Emmanuel Guibert) a rencontré il y a environ 30 ans un vieil américain (Alan), et que ce dernier s'est mis à lui raconter les souvenirs de sa vie. Ces expériences semblaient assez ordinaires, et peu propices à créer un récit passionnant. Mais le dessinateur a aimé cela et a enregistré les propos du vieil américain pendant quelques années, dans l'idée de faire une BD. Qui devait-elle intéresser ? Normalement personne ... ou presque, car avec ces simples témoignages, Emmanuel Guibert a créé une oeuvre dessinée dénuée de toute péripétie sensationnelle. Et voilà que, grosse surprise, ces "mémoires d'Alan" sont devenues progressivement une BD de grande classe, et une oeuvre qui compte.
Mais pourquoi donc le public (et moi-même) aiment-ils lire les "mémoires d'Alan" ! Cette question mériterait tout un débat. Serait-ce la magie de la bande dessinée ? Ou alors serait-ce l'intelligence scénaristique de Guibert, qui sait rendre la vie quotidienne plus intéressante que la fiction ? Un peu des deux, en fait ! En tout cas, il y a dans la "vie d'Alan" une authenticité passionnante.
Sinon, "
Martha et Alan" raconte la nostalgie d'une amitié perdue, et Guibert le fait avec une merveilleuse simplicité. Derrière cette magnifique suite d'estampes, il y a aussi des personnages qui vivent, qui grandissent et parfois qui s'aiment.
Que dire de plus ? Peut-être, tout simplement, que
Martha et Alan est un des livres de l'année.