T'zée une tragédie africaine est une BD écrite par Appollo, dessinée par Brüno et coloriée par Croix.
T'zée dirige son pays en despote depuis l'indépendance. Mais la révolte gronde. Et dans une ambiance de fin de règne, son fils, Hippolyte, et sa deuxième épouse, Bobbi, s'avouent leur amour.
La BD s'inspire (et le revendique) de la tragédie
Phèdre de Racine : T'Zée ressemble beaucoup à Thésée, les deux Hippolyte connaitront le même destin et Bobbi incarne une Phèdre africaine. Les similitudes ne s'arrêtent pas là et je vous laisse le plaisir de retrouver les autres couples. Racine s'est inspiré d'Euripide et on retrouve aussi chez Appollo toutes les caractéristiques d'une tragédie grecque : la noirceur des destins, les âmes tourmentées et l'hubris destructeur. Vraiment une belle analogie. Et cela ne s'arrête pas là car la malédiction jetée à T'zée par son ancien ami indépendantiste s'inspire de celle lancée par le grand maître du Temple dans
Les Rois Maudits.
Je serai moins positive sur la complaisante mise en scène de tous les clichés misérabilistes de l'Afrique post coloniale. La pauvreté, l'animisme, les rébellions de tout poil et les ingérences étrangères constituent le menu quotidien des personnages de la BD. Et toujours au titre des sources d'Appollo, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner que le Zaïre et Mobutu l'ont fortement inspiré. Le dessinateur se fait néanmoins un malin plaisir à ne jamais représenter les yeux du dictateur ce qui lui confère un aspect mystérieux, insondable et dangereux.
La narration navigue entre le présent et le passé. Ainsi l'auteur nous emmène à Paris où nous suivons les études d'Hippolyte et sa rencontre avec la fille du chef indépendantiste assassiné par son despote de père… Le trio amoureux (?) de T'zée, Bobbi et Hippolyte est patiemment construit et constitue un des fils conducteurs de l'histoire. Notons que le scénario restitue magnifiquement l'ambiguïté des personnages. Racine eut apprécié !
De nombreux coups de théâtres émaillent le récit. Il en résulte une belle fluidité qui incite le lecteur à tourner rapidement les pages. Le suspens est total et je confie avoir été surprise par la conclusion.
J'ai aussi apprécié le recours au fantastique et l'affrontement entre l'Esprit des Eaux et le sorcier Ndoki sous-tend le conflit entre les rebelles et T'zée.
Le dessin est sobre avec de grands aplats de couleurs. Il n'en pas moins un certain panache et il respire l'art nègre. Le style de Brüno peut surprendre mais sa nudité cache un projet artistique cohérent et méritoire.
Les couleurs réhaussent magnifiquement l'histoire. Des teintes franches, parfois chaudes, parfois froides, avec des dominantes marron, orange, violette ou encore vert, donnent beaucoup de relief aux dessins. Un superbe beau travail
.
Au final, je vais une nouvelle fois attribuer la note maximale de
EEEE. Et pourtant, je n'aime pas cette œuvre car me ressentant très éloignée de l'Afrique et de ses drames. Il me semble que le temps des colonies est révolu et, avec lui, celui de la fascination et de la culpabilité pour le continent noir. Après, chacun aura sa propre opinion. Il faut néanmoins reconnaitre la puissance de la narration, l'intelligence du scénario, le style du dessin et la qualité des couleurs.
Les librairies du réseau CANAL BD ont en tout cas sélectionné cet album pour le Prix des Libraires de Bande Dessinée 2023 : https://www.canalbd.net/glbd_plibre_33-12_Selection-2021-2022. Et l'association ABCD a placé le titre dans les indispensables de l'été 2022 : https://www.acbd.fr/6485/actualites/les-indispensables-de-lete-2022/.
Eléanore