Ethan a écrit:bertrand labévue a écrit:Quand je pense que Marc Bourgne avait écrit il y a quelques années, un scénario pour Kraenh (au dessin, oui !), qui a été refusé par Philippe Charlier... Avec une équipe pareille, on aurait de la qualité et de la rapidité !
Avec un Tanguy alcoolique, je ne pense pas que ça risque de plaire à tout le monde !!!
Suite à cette discussion en début de sujet, je viens de recevoir un e-mail de Marc Bourgne. Il apporte quelques précisions sur ce qu'il avait autrefois proposé à Philippe Charlier. Ces remarques intéresseront bien sûr les passionnés de la série.
Voici son texte, qui se trouve d'ailleurs également sur son blog (www.marcbourgne.fr) :
Comment j’ai proposé une reprise de Michel Tanguy
À la fin des années 1990, j’ai proposé à Dargaud un scénario de la série "Michel Tanguy" intitulé "Guerre civile". À l’époque, la série était absente des librairies depuis plus de dix ans, depuis la mort de son scénariste Jean-Michel Charlier. Ce projet a été refusé par Dargaud, sans explication. J’ai lu dans la presse, des années plus tard, une déclaration de Philippe Charlier (fils et ayant droit de J.-M. Charlier) selon laquelle mon synopsis était « farfelu ».
Mon scénario imaginait une descente aux enfers de Tanguy et sa rédemption. Vieillissant, viré de l’armée de l’air et forcé de voler pour une compagnie privée, l’escadre Delta, Tanguy était devenu alcoolique. C’est ce dernier point qui avait choqué Philippe Charlier. Pourtant, très vite, motivé par le désir de retrouver son vieux copain Laverdure (disparu lors d’une mission pour la Delta en Europe de l’Est), notre héros lâchait la bouteille et repartait à l’aventure.
C’était, selon moi, une bonne façon de reprendre la série après un long arrêt. Il me paraissait impossible de faire comme s’il ne s’était rien passé. Et puis nous n’étions plus dans les années 60 (et la série, notamment à cause du feuilleton télé, est indissociable de cette époque révolue). D’où la nécessité de montrer que Tanguy était un personnage un peu décalé, de par ses valeurs morales et sa rectitude, dans notre époque cynique. D’où, également, la nécessité de le vieillir (il avait la cinquantaine, dans mon scénario). Jean-Michel Charlier a toujours, dans Tanguy et Buck Danny , essayé de coller à la mentalité de l’époque (les "Tanguy" d’Uderzo sont très « sixties », ceux de Jijé très « seventies »…). La BD actuelle, lue désormais par les adultes bien plus que par les jeunes, insiste sur la psychologie des personnages.
Personnellement, je pense qu’il n’était pas farfelu d’imaginer que le créateur de Tanguy aurait pu creuser cette voie. D’autant plus que le thème de la déchéance et de la rédemption du héros, déjà splendidement développé dans "Blueberry", n’est en rien étranger à l’univers de Charlier.
Finalement, Dargaud a sorti un album intitulé "Prisonniers des Serbes", signé Jean-Claude Laidin et Ivan Fernandez. Dans cet album, Tanguy et Laverdure sont toujours aussi jeunes et fringants, ils sont à nouveau dans l’armée de l’air, et il n’est absolument pas question de l’escadre Delta. Cette option de scénario n’est pas totalement une trahison de Jean-Michel Charlier, puisque celui-ci, juste avant sa disparition, avait lui-même écrit les premières planches d’un nouveau "Tanguy" dans lequel Tanguy et Laverdure avaient été réintégrés dans l’armée de l’air (ce que je n’ai appris que des années après avoir proposé mon projet de reprise). Mais je continue de penser qu’il aurait, au minimum, fallu présenter dans les premières pages de "Prisonniers des Serbes" la réintégration de Tanguy et Laverdure dans l’armée.
Je me suis permis, en 2011, de donner mon avis à Philippe Charlier concernant l’écriture de "Tanguy". Je lui ai écrit que celle-ci gagnerait à être confiée à un scénariste de métier et de talent (par exemple J.-C. Kraehn, qui est en outre un fan de la série). Même chose pour "Buck Danny"! Ecrire des scénarios n’est pas à la portée du premier venu, et les scénaristes de la trempe de Charlier sont rares. Philippe Charlier a choisi des spécialistes de l’aviation militaire, néophytes dans l’écriture de BD d’aventure, plutôt que des scénaristes ayant fait leurs preuves, qui auraient été capables de se documenter et de faire appel à des spécialistes pour coller à la science aéronautique. De fait, si Dargaud m’avait proposé de faire des essais pour "Tanguy" (je sais que ça a été envisagé), j’aurais refusé.
Lorsque Philippe Graton et les éditions Dupuis m’ont proposé la reprise de "Michel Vaillant", fin 2011, ils m’ont annoncé qu’ils avaient choisi un scénariste talentueux et expérimenté (Denis Lapière), que les personnages auraient évolué et que le style graphique et les thèmes de la série seraient adaptés à la BD contemporaine. Tout à fait ma conception d’une reprise intelligente! Philippe Graton me prouvait que le fils d’un auteur célèbre n’était pas nécessairement incapable de faire preuve d’ouverture d’esprit mais pouvait avoir une vision ambitieuse de l’avenir d’une série patrimoniale.
Pour conclure, je signale que quelques années avant ma reprise de "Michel Vaillant", Dupuis avait envisagé de me confier le dessin de "Buck Danny", sur un scénario de Yann. J’étais partant… Mais Philippe Charlier a refusé le scénario de Yann et imposé que le scénario de la série soit écrit par… Un pilote! Du coup, j’ai décliné la proposition. Ironie de l’histoire: ces jours-ci sort une aventure de Spirou intitulée "La femme léopard" et signé Schwartz et… Yann! Dans les premières pages, Spirou est présenté comme un ivrogne. Puis, pour partir à la rescousse de son copain Fantasio, il abandonne la bouteille. Exactement le même schéma que mon projet de reprise de Tanguy! Il n’y a évidemment aucun plagiat là-dedans, mais force est de constater que tous les éditeurs classiques ne sont pas aussi frileux et opposés à la modernité que Dargaud: les directeurs de Dupuis ont su faire preuve d’audace avec Spirou, bravo à eux!
Marc Bourgne