Il y a aussi des lecteurs dans mon genre, qui ne sont ni catholiques ni nostalgiques, mais qui cherchent simplement les albums édités par le Triomphe pour découvrir l'oeuvre de certains dessinateurs comme Noël Gloesner ou Pierre Brochard, par curiosité. Mais revenons plutôt aux BD médiévales.
A côté des Bibles historiées, il existait un autre genre de manuscrit au Moyen Age, appelés les
Bibles moralisées. Ces livres richement illustrés n'étaient pas du tout des Bibles, mais plutôt des livres d'images qui présentaient et commentaient des récits de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ils avaient pour but d'enseigner la morale chrétienne et exposaient en parallèle deux situations dont la confrontation était sensée dégager une morale. Chaque page présentait deux colonnes de quatres miniatures et chaque image était commentée par un texte. Voici à quoi ressemble la
Bible moralisée de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Cet ouvrage date de 1404.
Sur cette page, on découvre en deux colonnes les histoires de Moïse et de Balaam qui sont mises en parallèle. Chaque image représente représente une scène (expliquée par le texte qui est adjacent) et il faut les regarder par couple. Les deux vignettes sur une bande ne constituent pas une séquence et il y a plutôt une opposition visuelle (et morale) entre ces deux images.
Le sens de ces Bibles moralisées n'est plus très facile à comprendre de nos jours. Elles frappent surtout par leurs qualités décoratives et devaient être à l'époque un support à la méditation. Je n'ai pour ma part pas cherché à deviner quelle était la leçon qui se dégage de cette confrontation entre Moïse (qui représente le bien) et Balaam. Par contre, il est clair que cet arrangement en bandes successives et cette association intime de l'image avec du texte est très évocateur de la BD.
Les jugements des historiens de la BD sur les
Bibles moralisées sont assez contrastés. Blanchart les présente dans son livre comme un exemple de BD médiévale tandis que Danièle Alexandre-Bidon critique ces rapprochements, en décrétant que l'absence d'un récit séquentiel dans ces "Bibles" n'autorise pas une telle comparaison. Voilà, voilà ... cependant ... il faut admettre que la définition d'une BD a bien évolué depuis l'époque où on la considérait simplement comme un récit dessiné.
Une BD doit elle comporter un récit ? Bien sûr que non, puisque certains albums de BD se présentent plutôt comme des livres d'enseignement. Un bon exemple est par exemple
l'Art Invisible, le fameux livre théorique de Scott McCloud.
La page d'un album de BD doit-elle obligatoirement former un récit ? Pas nécessairement, puisque les livres qui recueillent les comics strips (comme les Peanuts) ne proposent par une histoire continue. L'unité de lecture est uniquement "le strip", un peu comme dans une Bible moralisée
. De plus, il existe des oeuvres modernes qui ne racontent pas d'histoire et qui jouent simplement sur le contraste entre deux images. Il y a par exemple la belle série
Passi Messa, dessinée par Jost Swarte.
Les
Bibles moralisées seraient ainsi peut-être une forme de BD médiévale ? Difficile de l'affirmer avec assurance, puisque ce genre de livre n'existe plus et que nous les connaissons très mal! Toutefois, vu les formes très diverses qu'adoptent les BD actuelles, j'inclinerai plutôt à répondre par l'affirmative.