Parler de scènes de nus ou plus précisément de cul, même légères, ça me renvoie personnellement, comme un boomerang, plus de réflexions désagréables qu'autre chose, car dans l'ensemble - en tant que scénariste - j'y suis plutôt opposé, pour les raisons données plus haut par Pierre et Raymond/Damned : c'est du remplissage à bon compte pour émoustiller et attirer les lecteurs. Et ça vient comme un cheveu sur la soupe quand on achète un album en pensant lire un type d'aventures où ces scènes-là n'ont a priori pas lieu d'être. C'est un peu comme les publicités pour vendre une machine à laver ou une voiture : la jolie nana souvent très court vêtue n'est là que pour attirer le regard. Ou comme les clips publicitaires à la télé où, pour vendre des trucs de la vie courante, il faut presque nécessairement une jolie fille avec souvent des propos ou des attitudes équivoques ou à double sens.
Au niveau des scénarios de BD, ce que j'attends d'un scénariste, c'est qu'il fasse preuve d'invention, d'imagination et de réflexion, les scènes de cul (plus ou moins crues) démontrant à mes yeux qu'il fait dans la facilité et dans le basique. Par ailleurs, les scènes de nus ou de sexe sont tellement courantes maintenant dans les BD, que ça en devient convenu, d'une banalité affligeante, et que ça lasse - ou en tout cas, moi, en tant que lecteur, il y a longtemps que ça me lasse. Mais c'est tellement convenu que beaucoup d'auteurs se croient obligés de, ou autorisés à préparer une scène au moins - souvent, je ne sais pas si vous avez remarqué, c'est deux scènes - où une nana est plus ou moins à poil (sous la douche, dans son lit...) et où elle se fait sauter. Passionnant ! Je considère aussi qu'un scénariste - et son dessinateur, qui est d'accord avec la démarche puisqu'il accepte de mettre la scène en images - se moque du lecteur, en ayant l'air de lui dire : "Tiens, tu aimes le cul, en voilà, tu auras de quoi te tripoter ce soir...". C'est le côté agressif que je ressens parfois en feuilletant un album et en tombant sur certaines de ces scènes.
Le problème est que tout le monde sait qu'une ou deux scènes érotiques comme ça dans une BD, ça fait vendre. Tout le monde le sait, les éditeurs en premier qui, eux, regardent le compte en banque de leur maison d'édition. Un peu de cul avec un petit scandale à la clé, aussitôt on en parle dans les médias, et ça aussi ça fait vendre (genre : une scène avec deux lesbiennes dans un Largo Winch a été sucrée lors de la prépublication de l'histoire dans Le Figaro... Alors, ça, ça fait jaser, ricaner et causer dans les médias, juste comme il faut...). Le problème est aussi qu'il y a tout le temps des gens bien intentionnés qui trouvent toutes les bonnes raisons pour dire que ça ne mange pas de pain, qu'il faut être moderne, qu'on voit pire ailleurs, qu'on est dans un pays de liberté, que les gens qui sont gênés sont des coincés, des "Pères La Pudeur", etc. Certes... Je ne vais pas le faire ici, mais chacun de ces arguments peut être retourné.
Il faudrait faire aussi une analyse psychologique du phénomène - ce dont je ne suis pas capable, aussi je laisse faire les psy -, mais on dirait que les auteurs qui se laissent aller à présenter des scènes de sexe (explicites ou non), en plein milieu d'une histoire souhaitent (inconsciemment sans doute) faire savoir qu'ils sont eux-mêmes sexuellement normaux, qu'ils y pensent comme tout le monde et que tout se passe bien pour eux à ce niveau, merci. Si c'est ça, je dirais qu'une BD telle que je la conçois n'est pas vraiment le support adéquat pour ce genre de confidences, et que cet aspect de la vie privée des auteurs ne m'intéresse pas du tout alors que tout ce que je souhaite, c'est simplement lire une bonne BD d'aventures qui me fasse rêver, me captive, me transporte dans un autre univers, un autre monde, et me fasse oublier les tracas de la vie quotidienne.
Ceci ne veut pas dire qu'une scène de nu soit proscrite, si le scénario - un scénario intelligemment mené - la justifie. Ceci ne veut pas dire non plus qu'il faille interdire aux héros ou aux héroïnes de BD de vivre une vie amoureuse (thème de la présente discussion centrée sur Alix et Lefranc).
A signaler aussi un point important : les grands auteurs de la BD, tous aujourd'hui décédés, qui vont de Charlier à Hergé, de Jacobs à Pratt, en passant par Jacques Martin, etc, ont publié des milliers (en tout) d'histoires sans aucune scène de sexe ni même de nu (si : dans Alix, en cherchant bien, on va trouver ici ou là un homme nu ; si : peut-être que dans Blueberry, époque Charlier, on a pu voir telle fille aux moeurs légères ; mais vous avez compris que cela n'a rien à voir avec mon propos). Cette grande pudeur dans les BD d'autrefois était due à la censure, comme raconté plus haut. Elle était aussi due à une génération et à une époque. Au fait que la BD s'adressait longtemps aux enfants, aux adolescents. C'était dû enfin à la conscience professionnelle des auteurs, et à leur respect du lecteur. Tout cela ne les a pas empêchés de pondre - à mon humble avis - les meilleures BD qui aient jamais été conçues. Comme quoi le sexe explicite ou non n'est pas tellement utile pour créer une bonne BD. Personnellement, pour conclure ce sujet précis, j'attends la même chose des scénaristes contemporains : raconter de bonnes histoires en ne prenant pas le lecteur pour un petit vicieux qui regarde par le trou de la serrure.