Tous les albums de Mickey

Eh bien, en attendant que tu te procures cet ouvrage qui en vaut la peine, voici une rareté digne de ce grand jour : le premier album français des aventures de Mickey en bande dessinée, publié en 1931 par les éditions Hachette. Il s'agit tout simplement des Aventures de Mickey. La première partie de l'histoire reprend et développe le sujet de Plane crazy, tout premier dessin animé mettant en scène notre héros, mais qui était passé inaperçu au point de ne pas faire coïncider sa date de parution avec celle de la naissance officielle de Mickey.

Je précise au passage que Steamboat Willie est donc non seulement considéré comme l'acte de naissance officielle de Mickey le 18 Novembre 1928, mais qu'il est également considéré comme le tout premier dessin animé sonore !

L'album Hachette comprend également dans sa deuxième partie le début de l'histoire intitulée La vallée de la mort, republiée récemment sous sa forme originale de strips en noir et blanc. Jusqu'à cette histoire complète, les strips de 1931 présentent un caractère discontinu : il n'y a pas à proprement parler d'histoire centrée autour d'une intrigue, mais une succession plus ou moins longue de péripéties vaguement associées à un thème, comme celui du voyage de Mickey à bord de l'avion qu'il a construit afin de rivaliser avec Charles Lindbergh.

C'est à la demande du King Features Syndicate que Walt Disney unifie les aventures de Mickey autour d'une véritable intrigue dramatique qui commence à paraître en strip le 1 Avril 1931. Jusqu'à cette phase, Disney conserve la double responsabilité de créer les dessins et les scénarios. Selon la préface de l'édition Glénat, courant avril 1931 il confie le dessin à Floyd Gottfredson pour publication d'un premier strip signé de ce grand artiste le 5 mai 1931, puis lui abandonne également le scénario. Floyd Gottfredson poursuivra donc ce double travail jusqu'en 1932 avant de déléguer à son tour le travail du scénario et de l'encrage à une équipe de collaborateurs, tout en conservant cependant la haute main sur l'élaboration de chaque histoire et la totalité des crayonnés.

Le images  de la première planche de l'édition Hachette, reprenant vraisemblablement plusieurs strips de l'édition originale, sont donc si j'ai bien compris les informations données par le volume 1 de l'intégrale Glénat et le recueil spécial du 90ème anniversaire, de la main même de Walt Disney, même si celui-ci avait sans doute déjà un encreur.

Je vous présente donc ci-dessous la couverture de l'album, la page titre et la première planche de l'édition Hachette. Admirez la polychromie faite de variante d'orangé, de roses, de gris et de bleus. Notez aussi que, contrairement aux strips de l'édition originale américaine, l'édition Hachette ne comporte pas de bulles mais un récitatif dialogué situé sous les cases, dans l'esprit des oeuvres de Christophe, l'immortel créateur de la famille Fenouillard et du savant Cosinus, sans doute pour donner aux aventures de Mickey un minimum de sérieux littéraire aux yeux des familles encore peu habituées à la bande dessinée.

Si cette présentation vous intéresse, je vous propose avec l'accord préalable de Raymond de créer un sujet consacré aux albums Hachette car il se trouve que j'en ai plusieurs. Je propose aussi un sujet consacré à la première version Journal de Mickey créé en 1934 car il se trouve que je dispose du premier album de cet illustre hebdomadaire. Il serait en effet malvenu de mélanger les deux thèmes , celui des albums Hachette et celui du Journal de Mickey.

Je demande à chacun de bien vouloir me pardonner d'avoir investi momentanément le présent sujet par des éléments qui ne le concernent pas totalement ou de façon pas tout à fait directe, mais j'ai pensé qu'à l'occasion du 90ème anniversaire de notre héros, je pouvais me permettre cette licence disneyienne !

Excellente idée ! Puis-je te laisser ouvrir le sujet et y déplacer le message concerné ? Car je ne sais pas comment m'y prendre. Tu me donneras ensuite le lien si tu veux bien faire ainsi ?

Je me réjouis de ta proposition de présenter toi aussi des versions alternatives. D'ailleurs quand nous en arriverons aux planches des Aventures de Mickey qui correspondent à l'intégrale Glénat, je les mettrai aussi en comparaison. Il peut être très intéressant de mettre en perspective toutes ces versions.  

Il y a aussi les grands albums format A5 publiés dans les années 1970, chacun étant consacré à un personnage. J'ai celui qui est consacré à Mickey et qui reprend en quadrichromie les aventures dessinées par Floyd Gottfredson On me l'avait offert à l'époque.

Voici la suite des Aventures de Mickey. Vous remarquerez que chaque planche porte un titre général, comme un chapitre à l'intérieur d'un roman et q'au lieu de l'unité dramatique d'une aventure continue, nous sommes en présence d'une succession d'épisodes seulement reliés par une cheville narrative de convention. Chaque planche ou duo de planches constitue donc une forme de micro histoire. L'humour est souvent très présent, sous une forme de pure fantaisie empruntée à l'univers des gags du dessin animé, mais avec une inventivité facétieuse déjà typique, très éloignée d'ailleurs du lieu commun selon lequel l'univers de Mickey serait celui d'une fade gentillesse. Bien au contraire, il faut voir l'expression féroce de Mickey quand il brandit un revolver en direction du lion qu'il prétend abattre !

Vous constaterez que lorsque Mickey connaît une forte émotion, on lit une exaltation dans la case elle-même, mais sans bulle, procédé qui se retrouvera dans d'autres albums des éditions Hachette. Notez enfin le récitatif et la situation des deux dernières cases de la page 7, directement inspirés de la célèbre fable Le corbeau et le renard de Lafontaine. De même, la rencontre avec le lion, p.6, s'accompagne d'une citation emblématique du Petit chaperon rouge.Le décalage entre les références judicieuses de Mickey et l'urgence de l'instant produisent un effet humoristique extrêmement savoureux, non dépourvue d'une sorte de fantaisie surréaliste - Plus tard, bien plus tard, un certain Bill Ballantine nous fera rire par son sens des citations et des discours emphatiques inattendus de la part du personnage comme dans les moments de péripétie où il les prononcera.

D'une manière générale, tout le récit et le monologue de Mickey fourmillent de formules follement drôles et proches du nonsense, comme lorsque l'avion tombe et que notre héros s'écrie : "Oh ! que c'est dur d'être un grand aviateur" !

Continuons notre lecture des exploits de Mickey. Comme on le voit par cette confrontation avec les "sauvages", le récit n'est guère "politiquement correct". Il témoigne d'une vision des peuples africains courante dans l'imaginaire de l'époque. Il suffit par exemple de lire "Jim la Jungle" dans Le journal de Mickey publié à partir de 1934 pour s'en apercevoir. Tintin au Congo sera sans doute l'une des dernières manifestations de cette vision du monde dans la bande dessinée. Mais, à la différence des Africains de Tintin qui, pour nombre d'entre eux témoignent d'une véritable humanité même si elle est envisagée d'un point de vue paternaliste conduisant à une infantilisation des Noirs, les "sauvages" de Mickey sont tous cruels et stupides. Ils ne sont à vrai dire que des faire valoir de dessin animé, et le scénario les emploie exclusivement de manière comique, Mickey se jouant systématiquement d'eux en peignant une fausse entrée de caverne, en les bombardant tour à tour, en se grimant en bête féroce pour les effrayer.

Cette séquence, sans doute tronquée d'une partie des strips d'origine, relève finalement de la pure logique du dessin animé, selon une succession de gags où les pauvres "sauvages" se voient appliqué le principe du comique bergsonien : du mécanique plaqué sur du vivant. On y voit un Mickey souvent féroce, pas si éloigné que cela des personnages de Tex Avery auxquels on l'opposera plus tard quand il se sera assagi.

Si tu regardes bien le texte de la version Hachette, tu verras que dans le cas numéro , il se substitue à la case manquante en indiquant que Mickey va se servir de la noix de coco comme d'une boule de bowling contre ses poursuivants. As-tu aussi remarqué que dans toutes les planches Mickey est systématiquement représenté une fois dans une case de l partie gauche, en train de courir pour échapper à des agresseurs dans le sens d'une diagonale gauche droite en pente.

La page 12 nous réserve une séquence précipitée encore une fois digne d'un dessin animé, puisque tous les adversaires de Mickey se liguent un dernière fois en trois charges consécutives, pour lui donner la chasse dans un finale haletant reprenant tous les thèmes précédents de façon quasiment musicale. La cachette que trouve Mickey ménage une césure expéditive pour nous conduire à un tout autre récit, dans un paysage qui n'a plus de lien avec le décors africain des pages précédentes, nous reconduisant, notamment page 15, dans une campagne tout à fait classique.

Cette nouvelle séquence ménage des surprises surréalistes d'une folle drôlerie, mais toujours pas d'intrigue au sens propre du terme, plutôt une série de variations autour de thèmes à nouveau dignes d'un court métrage. Un imaginaire parfois proche du cauchemar s'y déploie, selon une logique qui est bel et bien celle des rêves et on comprend à lire ces pages que Disney ait par la suite pu admirer Salvador Dali au point de collaborer avec lui, tant ce qui arrive à Mickey semble sorti tout droit du monde de métamorphoses tour à tour narquoises et angoissantes propre à l'inconscient.

La débrouillardise de Mickey y ajoute sa note d'originalité absolue, comme dans la case finale de la page 15 que j'ai toujours adorée lorsque je lisais ce passage dans mon enfance. Je trouve toujours à cette case une immense poésie qui m'évoque aujourd'hui ce haïku de Bashô que je cite de mémoire : "Première pluie d'hiver/ Le singe aussi voudrait avoir/ un petit manteau de paille".

Cette nouvelle séquence marque le retour total de Mickey sur les terres de sa vie quotidiennes puisque non seulement il a regagné on ne sait comment dans cette version la campagne d'où il est parti, mais il y retrouve Minnie qui apparaît  pour la première fois de l'album. Infiniment plus spontanée et en cela fort différente de la Minnie souvent sentencieuse et exigeante qu'elle deviendra plus tard, elle ne manque pas d'exprimer avec effusion ses sentiments amoureux. Elle est aussi moins autonome et joue d'emblée un rôle de victime sans défense que Mickey doit secourir. Les retrouvailles s'accompagnent d'une déclaration touchante sur le modèle du "Puisque c'était lui, puisque c'était moi" de Montaigne à propos de son ami La Boétie.

On remarque qu'à l'époque Mickey vit à la campagne et n'a pas encore de résidence personnelle précise, sinon la ferme de son enfance à laquelle il est manifestement aussi attaché qu'à Minnie. Plus tard à l'évocation de l'Amérique rurale succédera l'univers urbain des grandes cités de gratte-ciel de type New York et Chicago comme dans l'un des épisodes repris en 1970 dans La fabuleuse histoire de Mickey et qui s'intitule si mes souvenirs sont bons Mickey journaliste, puis Mickeyville et ses quartiers résidentiels de petites maisons individuelles avec jardins, sur la côte Pacifique, dans l'état fictif de Calisota entre l'Oregon et la Californie. A ce sujet, voir l'intéressant article de wikipedia qui s'interroge sur la localisation de Mickeyville et l'origine européenne et américaine de cette cité : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mickeyville

Pour revenir aux Aventures de Mickey qui nous occupent actuellement, à partir du moment où nos deux jeunes tourtereaux se retrouvent et sont abordés par Maître Chicaneau, le notaire, commence une véritable intrigue autour de la mine d'or de l'oncle Radeville, qui nous conduira par la suite jusqu'au Far West. Avec Maître Chicaneau, Mickey connaît le premier de ses adversaires acharnés et redoutables, même s'il ne son personnage ne s'inscrira pas dans la longue durée.

Bientôt s'adjoindra à lui un subalterne aussi bête que méchant en la personne de l'ancêtre direct de Pat Hibulaire, nommé Le Frisé ou parfois Jean Bambois, équivalent français de Pete Leg, puisque ce personnage est un unijambiste doté d'une jambe de bois. Contrairement à Pat Hibulaire Le Frisé est un homme à tout faire soumis à son patron. Il est mince et athlétique et s'apparente, plutôt qu'à un énorme chat maladroit comme le sera Pat Hibulaire, à une sorte de puma capable de sauter sur Mickey comme on le verra dans un des scènes du second volume des aventures de la version Hachette : Mickey chercheur d'or.

Apparaissent également deux personnages qui, contrairement à Maître Chicaneau font partie des amis de Minnie et Mickey et resteront présents jusqu'à nos jours, Dusabot le cheval, futur Horace et Madame Bellecorne la vache qui n'est pas encore Clarabelle et n'a pas atteint le statut de fiancée de Dusabot. Dans cette première aventure, ni l'un ni l'autre ne sont d'ailleurs très sympathiques.

L'entrée en scène de Madame Bellecorne, ici nommée Clarabelle, est extrêmement drôle et le commentaire de Mickey des plus désopilants. Quel magnifique mot d'esprit digne de Winston Churchill ou de Groucho Marx : "Elle a dû être vaccinée avec une aiguille de phonographe" !

Voici l'équivalent de ce début d'histoire dans la version en strips noirs et blancs présentée par les éditions Glénat dans le volume 1 de l'intégrale Floyd Gottfredson. Le récit qui va commencer y est présenté en bandeau à la manière d'une affiche de cinéma présentant les stars d'un film. Mickey dans la case adjacente fait preuve d'une amusante modestie :

Pardonne-moi d'être sincère, mais je ne partage pas du tout ton impression. Ces albums ont enchanté mon enfance et ton jugement me parait bien sévère. Ils sont un de mes plus beaux souvenirs et avoir retrouvé et racheté ceux que j'avais tant aimé, a été pour moi une joie immense ! Pourtant, à l'époque, au cours des mêmes années soixante et soixante-dix de ma jeunesse de lecteur novice, je dévorais également les histoires qui m'étaient contemporaines dans Le Journal de Mickey et Mickey Parade, mais je trouve que la gamme chromatique employée est très douce et belle rendant bien justice au dessin. J'ai alors été ébloui par ces albums et le reste sans réserve. Il faut bien noter aussi que si les couleurs sont aujourd'hui un peu défraîchies, selon les exemplaires, il s'agit surtout de l'effet du temps.

Récemment et c'est un bon test, je les ai montré à des jeunes gens de 17 ans (environ une trentaine de personnes des deux sexes) qui ont été émerveillés eux aussi. Pourtant cela aurait pu ne pas leur parler du tout , habitués qu'ils sont aux couleurs très flashys !

Je propose quoi qu'il en soit que pour rendre bien lisible ce sujet, nous suivions l'ordre de publication de nos versions selon ce qui est en cours plutôt que d'intercaler des messages annexes. Bien sûr, il sera intéressant si tu le veux bien que le moment venu, puisque tu as la chance de posséder Mickey chez les pirates, que tu nous présentes les scan ou photos des planches successives de l'album, accompagnées de tes commentaires !

Nous abordons maintenant une séquence qui m'a profondément ravi dans mon enfance, celle de l'exploration nocturne de la maison de l'oncle de Minnie où les jeux d'ombres et de noir et blanc évoquent souvent l'univers du cinéma expressionniste contemporain de cet album. Voyez par exemple les ombres étirées dans la première case de la page 21. Cette esthétique des ombres trouvera d'ailleurs un point culminant en 1966, dans le numéro 723 bis de Mickey Parade, avec une des plus fabuleuses aventures de notre héros, Mickey et la révolte des ombres, inspirée par L'étrange histoire de Peter Schlemihl d'Adelbert von Chamisso.

La maison de l'oncle est un lieu inquiétant, semé de pièges, sourdement habité de présences inquiétantes, sur le modèle des récits de demeures hantées et des histoires de fantômes chers à la littérature populaire et que l'oeuvre de Walt Disney exploitera souvent par la suite, tant dans les récits en bande dessinée que les cartoons comme Mickey chasseur de fantômes.

Les manifestations du mystérieux personnage drapé de noir, qu'on avait déjà aperçu une première fois P.18 et qui joue ici le rôle d'avertisseur et de protecteur muet, contribue à cette atmosphère et annonce, mais dans un tout autre registre, le personnage du Fantôme noir, autre figure nocturne majeure de l'univers de Mickey.

Enfin, cette séquence offre à Pete Leg, ancêtre de Pat Hibulaire, une entrée en scène particulièrement impressionnante. Le climat de ce passage est celui du fantastique auquel se mêle tout un théâtre d'accessoires et de décors qui me faisaient trembler de plaisir quand j'étais enfant et que je trouve toujours aussi fascinant.