Jean-Marc a écrit:Si je lis bien, tu estimes que tes scénarios tiennent mieux la route que certains de Jacques Martin, comme celui de l'Oasis. Je crois que tu aurais dû débuter par là.
En tout cas, tu peux bien lire que si j'avais dû faire atterrir un
Airbus dans le désert, j'aurais trouvé un système simple et plausible ;
Damned, spécialiste de l'aviation, a dit aussi que cet Airbus, tel
qu'il est là et comment il a pu arriver là, ça le gêne beaucoup, et
Michel, lui aussi scénariste, a dit la même chose que moi, plus haut
dans la discussion, en imaginant qu'il aurait prévu par exemple une
vieille piste abandonnée dans le secteur. Donc, on est quelques-uns à
se rejoindre. Une vieille piste abandonnée, ou un fond de lac asséché
et solidifié, ou toute formule plausible de ce genre : tout est bon si
ça tient la route. Mais il est certain que, dans un scénario réaliste
tel que j'en écris, je ne me vois pas placer un Airbus, qui n'est quand
même pas une cage à poules du début du XXe siècle ni un ULM, comme ça
au milieu d'une palmeraie. Même Raymond a dit plus haut qu'il allait
regarder ça le soir-même, donc ça doit l'interpeller - mais je n'ai pas
cru lire plus tard ses commentaires à ce sujet.
Pareil pour l'approvisionnement en eau d'un gars qui arrive seul, en autonome, dans
un secteur aride où il sait qu'il aura fort à faire, et où - si je lis
bien moi aussi la BD - il ne sait pas trop où il arrive ni sur quoi il
va tomber. Vous êtes nombreux à penser que j'exagère et à balayer ce
problème d'un revers de la main, alors que personnellement, c'est ce
que j'ai en permanence en tête dans l'écriture d'une BD. Comme déjà dit
plus haut : le B-A Ba pour moi, c'est de résoudre le problème de
l'approvisionnement en nourriture pour les êtres vivants : hommes,
animaux (chevaux, etc.), et en carburant pour les engins mécanisés,
quels qu'ils soient. Une fois ceci résolu et cette base établie, je
peux lancer l'écriture de mon histoire, je sais que les héros et leurs
véhicules iront jusqu'à la planche 46 de l'album. A moins, évidemment,
qu'il soit prévu qu'ils tombent en panne sèche à un moment, mais c'est
une péripétie, et pour pouvoir l'écrire, cette péripétie, je prévois
aussi qu'il va se passer quelque chose au niveau de l'approvisionnement
; ce sera un rebondissement dans le scénario.
Evidemment, je ne pense pas à cela en permanence pour chaque histoire. Si j'avais à
raconter une enquête policière qui se déroule entre Paris et
Champigny-sur-Marne pendant tout un album, je ne m'inquiéterais pas de
savoir comment le héros va s'approvisionner ; il y a des magasins et
des stations service partout, et le héros, qu'il soit policier ou
journaliste ou ce qu'on veut, a a priori de l'argent pour s'acheter
tout ça, donc je ne m'en préoccupe pas et j'occulte le problème.
En revanche, si je raconte à peu près le même scénario avec pour héros un
SDF dont l'obsession est de trouver chaque jour de quoi manger et
boire, et qui n'a pas de moyen de locomotion, alors ce sera aussi mon
obsession de scénariste de trouver un moyen pour lui d'avancer dans
l'histoire en mangeant un peu chaque jour et en trouvant comment se
déplacer rapidement si c'est nécessaire. Et un héros comme Lefranc,
parachuté en plein désert, loin de tout, etc, là, oui, j'y pense très
fort, à cet approvisionnement en eau (et en nourriture), et je pense
aussi très fort à montrer au lecteur comment le héros s'approvisionne,
ce dont vous tous, bizarrement, vous ne vous inquiétez pas ; c'est
pourquoi je disais plus haut à Raymond qu'on n'est pas fait pareils...
Quelqu'un a dit à ce sujet que Jacques Martin n'allait pas montrer tout
le temps Lefranc en train de boire à sa gourde. Je ne demande pas ça !
Ce serait ridicule de montrer ça tout le temps. Ce que j'aurais voulu
voir (même une seule fois, dans une seule image, et ce serait bon pour
le restant de l'histoire) c'est où Lefranc trouve-t-il l'eau pour se
désaltérer sans souci pendant tout le temps qu'il aura à mener sa
mission. Pour moi, Lefranc est forcé d'apporter de l'eau avec lui, et
en quantité, ne sachant pas où il va arriver et ne sachant s'il va
trouver de l'eau facilement et tout de suite ; or son planeur me paraît
bien chargé, vu tout ce qu'il transporte. Ici-même, j'ai soumis l'idée
de remplir les ballasts du planeur d'eau potable, mais d'une part
Jacques Martin ne l'a pas indiqué dans la BD (or c'est une astuce qu'il
aurait fallu indiquer à l'intention du lecteur ; si vous pensez que ce
n'était pas la peine de l'indiquer, je redis qu'on n'est pas fait
pareils), et j'ai déjà dit que j'ai aussi des arguments
contre cette solution
(je pourrai vous les raconter si ça vous intéresse, mais on s'éloigne du sujet).
Cela dit, je reconnais que si on épluche n'importe quel scénario, même les
miens, on trouvera toujours des trucs qui ne vont pas ; mais je dirais
que c'est sur des anecdotes, des points de détails, des aspects sur
lesquels on peut glisser parce que ça ne mange pas de pain, et surtout
parce qu'il y a un moment - à partir d'une base solide : voir plus haut
- où il faut raconter des choses qui sortent de l'ordinaire, où il faut
mettre le héros dans des situations risquées ou exceptionnelles en
forçant un peu la réalité, tout simplement parce que, si on veut être
trop strict, il n'y a plus d'aventure qui fasse rêver. Par exemple
qu'un héros ne soit pas pilote mais se retrouve aux commandes d'un
avion, ça ne me choque pas. C'est une BD, c'est le héros, on peut
admettre qu'il sache piloter, on convient qu'il a un certain nombre de
qualités ou qualifications. Pourtant, ça devrait me choquer, moi qui
suis apparemment si strict et qui suis spécialiste de l'aviation.
Est-ce invraisemblable que Tintin pilote un avion dans Le Sceptre
d'Ottokar ou un hélico dans L'Affaire Tournesol ? Peut-être, et
alors...? Je pourrais être choqué aussi que Lefranc pilote un planeur
autonome dans L'Oasis ; ben non, ça, ça passe très bien pour moi.