Reparlons maintenant de ce nouveau
Corto Maltese, que j'ai enfin eu l'occasion de lire.
Disons-le d'emblée, c'est une reprise très professionnelle, qui évite intelligemment les multiples erreurs que l'on pouvait craindre. Il y avait tout d'abord le problème du scénario, et la difficulté d'être à la hauteur du talent de Pratt, de sa faculté à nous promener à travers le monde, tout en commentant d'une manière cynique les actions ou les lieux que traverse son personnage. Juan Diaz Canales a su reprendre exactement ce style de récit, celui d'une quête qui va amener Corto à découvrir l'Alaska. En fait, tout commence avec une petite lettre de Jack London (rencontré lors de "la jeunesse de Corto), accompagnée d'un deuxième billet contenant le nom d'une femme. C'est elle que Corto va rechercher tout au long de son voyage dans le grand nord, qui sera marqué par de multiples rencontres et aventures secondaires.
La lecture de ce billet de Jack London est d'ailleurs dessinée d'une façon splendide. Les images de cette séquence réveillent une troublante et agréable sensation de "déjà vu". On y retrouve pendant quelques instants le souffle romantique de Pratt.
Sur le plan graphique, il faut saluer le savoir faire, et surtout le talent de Ruben Pellejero, qui se montre à la hauteur du défi. Tout en gardant son dessin habituel, il crée des personnages troublants de ressemblance. Il reprend astucieusement certains effets de style de Pratt, en particulier sa manière de construite une séquence. Il trouve aussi le rythme juste pour illustrer son récit, et insère dans ses images certains "tics" de Pratt, en montrant par exemple Corto qui se promène d'une attitude nonchalante, ou en faisant le portrait de Raspoutine dont le visage écume toujours de rage. Les personnages secondaires possèdent de plus des "trognes" soigneusement étudiées, et ce respect du style de l'oeuvre d'origine m'a réellement épaté.
Cet album n'est au fond qu'une imitation du style de Pratt mais, il faut l'avouer, dans ce genre, il frise la perfection. Pour être précis, je ne le considérerai pas comme un chef d'oeuvre, mais plutôt comme un grand travail de professionnel, à la fois ambitieux et destiné au grand public. Ce livre réussit en tout cas à faire revivre Corto Maltese avec justesse, et à retrouver ce mélange de poésie et de violence qui caractérise les bons récits de Pratt.
Petite remarque supplémentaire ! J'ai finalement préféré acheter la version colorisée de cet album. Ce choix m'a semblé plus opportun, car même si Pellejero reprend scrupuleusement certains effets classiques du noir et blanc (ah... ces images en ombres chinoise montrant Corto courir vers la bagarre), les couleurs ont des tonalités claires et sont appliquées avec justesse sur un dessin dont le trait reste bien visible. Comme par ailleurs l'album colorisé est moins cher ...
C'est en tous cas une des belles lectures de cet automne.