J'avais promis à Raymond, lors de l'ouverture du forum, d'envoyer de nouvelles études d'albums d'Alix, pour que nous puissions en discuter, confronter nos opinions et nos connaissances.
Voici donc la première, d'autres suivront. Vous les trouverez aussi sur le site "Alix l'intrépide", pour poursuivre la série déjà commencée.
LE PRINCE DU NIL
Onzième aventure d’Alix
Résumé de l’histoire
Alix et Enak sont invités en Nubie, dans le sud de l’Égypte, par le roi Ramès Menkharâ qui règne sur le territoire de Sakhara. Enak serait en effet apparenté à cette famille qui s’oppose à la dynastie des Lagides depuis que celle-ci est montée sur le trône d’Alexandrie. Mais c’est un piège : en réalité le souverain redoute maintenant une invasion romaine et cherche à obtenir le concours d’Alix pour empêcher celle-ci, par le chantage ou par la force…
Quand cela se passe-t-il ?
Le complot a pour but de s’opposer à un projet d’invasion de l’Égypte par César « après son retour de Gaule », selon l’un des conjurés. D’après le contexte des aventures d’Alix postérieures à celle-ci, César n’a pas encore franchi le Rubicon, en -49, et il n’est arrivé à Alexandrie qu’en -48, après sa victoire sur Pompée à Pharsale. Cette histoire se déroule donc entre -52 ( à la fin de la guerre des Gaules ) et -49.
Où cela se passe-t-il ?
Dans cet épisode, Sakhara n’est pas précisément située : en Nubie, c’est tout. Il faudra attendre Le fleuve de Jade pour avoir une indication plus concrète : Alix et Enak passent d’abord devant les temples d’Abou Simbel, puis, peu après, devant les ruines de Sakhara, avant d’arriver à Méroé. Sakhara se trouverait donc entre les deuxième et troisième cataractes.
Le site de Sakhara pourrait être l’île de Saî, qui se trouve à mi-chemin entre ces deux cataractes, qui mesure onze km sur cinq km et qui a été occupé sans interruption depuis le paléolithique jusqu’à l’époque ottomane. La ville du Nouvel Empire est l’une des mieux conservée de Nubie, notamment le temple daté du règne de Thoutmosis III.
Le contexte
De l'Histoire...
Il n’y a jamais eu à proprement parler d’invasion de l’Égypte par les Romains. L’Égypte ne perdit son indépendance qu’après la mort de Cléopâtre, en -30, même si la monarchie lagide est militairement et financièrement contrôlée par Rome dont les armées alliées avaient remis Ptolémée XII sur son trône en -55, après une révolte à Alexandrie : elle était donc devenue un protectorat romain de fait sinon de droit. Elle devint sous l’Empire une province romaine gouvernée par un préfet aux pouvoirs très étendus, chargée de fournir du blé, du papyrus et des matières précieuses.
Mais les relations – et le contentieux – entre les deux puissances ne datait pas d'hier. Il faut faire un retour en arrière pour bien comprendre ce qui s'était passé.
Depuis plusieurs siècles, l'Egypte est le grenier à blé des pays méditerranéens : la Grèce, l'Asie mineure et Rome s'y fournissent en céréales, vitales pour des populations dont la terre n'est pas toujours très riche, mais qui peuvent s'y approvisionner facilement grâce à des échanges commerciaux prospères. Quels que soient ses gouvernants : Pharaons locaux, Perses ou Grecs, L'Egypte est un pays riche, une puissance qui compte, longtemps la première en Méditerranée, en attendant les Perses, Alexandre et Rome.
Justement, entre Rome et l'Egypte, les premiers contacts diplomatiques datent de l'échange d'ambassadeurs à l'époque de Ptolémée II, en -273 ; les deux empires se parlent alors sur un pied d'égalité. Ce n'est plus le cas un siècle plus tard : en -168, Rome sauve les Lagides de la conquête Séleucide. Rappelons que Séleucos fut celui des généraux d'Alexandre qui “hérita” de la partie orientale de son empire, de la Syrie à l'Indus, dont il fut progressivement délogé par les Parthes, ses successeurs essayant de se rattraper sur d'autres régions, sans trop de succès, jusqu'à ce qu' ils entrent dans l'orbite romaine en -64.
En -164, Rome intervient encore pour arbitrer entre les deux frères Ptolémée VI et Ptolémée VIII : désormais, Rome sera directement impliquée dans les querelles de successions des Lagides. En -116, après la mort de Ptolémée VIII, l'un des candidats au trône, Ptolémée X, va même jusqu'à léguer son royaume au peuple romain pour l'emporter sur son rival. Mais quand il meurt en -88, l'annexion ne se fait pas.
Pourquoi ? C'est que l'Egypte est un gros, un très gros morceau : Rome redoute le surcroît de richesse et de puissance qu'en retirerait celui qui gouvernerait cette province.
A partir des années -60, la dépendance des souverains Lagides à l'égard de Rome augmente. En -58, le Sénat romain vote la transformation de Chypre, gouvernée par le frère de Ptolémée XII, en province romaine ; tandis que le souverain chypriote se suicide, Ptolémée XII est contraint, devant la vindicte des Alexandrins, de quitter précipitamment Alexandrie en cédant le pouvoir à sa fille aînée Bérénice.
La suite, vous pourrez en prendre connaissance en lisant “Alix raconte Cléopâtre”, qui raconte en détail les luttes d'influence que se livrent les diverses factions romaines et égyptiennes pour la conquête du pouvoir.
Et comme tout cela se passe surtout à Alexandrie, “ville grecque près de l'Egypte, mais pas ville égyptienne”, que devient pendant ce temps-là l'Egyptien moyen de la chôra, c'est à dire de la province ? Sa situation n'a guère changé depuis la nuit des temps, il continue à travailler de la même façon une terre qui appartient au Pharaon, à cette différence près que les taxes qui servaient auparavant à rémunérer les scribes, prêtres et soldats dans le cadre d'une économie de redistribution, ont désormais pour but, sous les Lagides, de faire prospérer l'Etat.
On comprend donc pourquoi les choses se compliquent quand le souverain dilapide le trésor pour tenter de sauvegarder son indépendance ; des révoltes ont lieu et les gouverneurs locaux deviennent des grands seigneurs quasi-autonomes menant leurs propres affaires loin du pouvoir central.
Les caisses de l'Etat devaient être si vides qu'on trouve plusieurs dévaluations monétaires sous le règne de Cléopâtre ; elle interdit, en -50, de transporter les céréales de moyenne Egypte ailleurs qu'à Alexandrie, ce qui suppose de sérieuses difficultés de ravitaillement de la capitale ; pour couronner le tout, le Nil fit la grève de la crue en -42 et -41, ce qui entraîna des récoltes désastreuses, mais la souveraine ne réagit qu'en exemptant de taxes... les propriétaires terriens d'Alexandrie !
... à l'histoire
Supposons que nous n’ayons pas affaire à un récit inventé, mais à des faits réels : quel en serait le contexte ?
A l’époque où se déroule notre histoire, les maîtres de Sakhara avaient-ils pour autant des raisons de se méfier des Romains ? Ils n’avaient sans doute pas lieu de craindre les Égyptiens, dont la domination sur la région s’arrêtait alors à la latitude d’Abou Simbel. Il faut pour les comprendre remonter au moment de leur installation dans le pays, trois siècles auparavant.
Ce n’est certainement pas par hasard qu’ils se sont installés ici. L’Égypte a colonisé cette région, qu’elle nommait Koush, au temps du Nouvel Empire ( -1550 ), puis, profitant d’un certain effacement égyptien, Napata ( à partir du -VIIIème siècle ) et Méroé ( à partir du -IIIème siècle ), plus au sud, se sont révélées ensuite des puissances régionales prospères très influencées par la culture de leur grand voisin du nord.
D’où provient la richesse de Sakhara qui témoigne d’un faste réel ? Certainement pas de ses conquêtes militaires, car la région semble pacifique, même si on y trouve un général.
En revanche, la région offre une situation incomparable, au carrefour du Nil et des routes caravanières de la mer Rouge, du centre et du sud de l’Afrique, pour les produits venant de la Nubie elle-même et pour ceux drainés par les liaisons commerciales qui existaient depuis longtemps pour transporter ces richesses variées : or, pierres précieuses, ivoire, ébène, encens, animaux exotiques, et, bien sûr, esclaves, dont le monde méditerranéen était avide. En fournissant ces produits, en contrôlant ces routes, et en protégeant les marchands d'éventuels pillards en échange d‘un péage, les pouvoirs locaux assuraient leur fortune.
Si l’Égypte avait laissé cette région en déshérence, il n’est donc pas étonnant que des gens entreprenants s’y soient fixés et ont pu y établir un État indépendant, aux dimensions limitées, mais à la prospérité indéniable. Mais à la fin de l’époque ptolémaïque, le pouvoir égyptien vacille et les rois de Sakhara pouvaient légitimement redouter l’esprit d’expansion d’une nouvelle domination qui ne pouvait être que celle de Rome.
Même si cette Sakhara ( qu'il ne faut pas confondre avec la nécropole de Saqqara, au sud du Caire, qui est bien réelle ) est imaginaire, elle reste vraisemblable. La signification possible de ce nom serait : Râ a mille fils.
Comment est racontée l’histoire
Le scénario de cette histoire est particulièrement serré : sans doute l’effet du passage du nombre de pages à 46 seulement. Il en résulte qu’il n’y a pas de temps mort dans ce récit où les évènements se précipitent et viennent se greffer sur un thème de départ qui aurait dû être pour les héros un voyage sans aléas, mais pas sans émotion, comme nous le verrons plus loin. La progression dramatique ne laisse donc pas un instant de répit aux personnages, et aux lecteurs non plus ! Quant à l’étude des caractères des personnages, tout est dit en quelques images et répliques.
Dans ses détails comme dans ses couleurs, le dessin est particulièrement somptueux, même s’il perd un peu en surface pour les mêmes raisons. En compensation, il est vif et nerveux, montrant un maximum d’action. La précision des détails, la ville, le temple, les expressions des personnages, témoignent d’une observation poussée et d’une documentation sans faille.
Dans “Avec Alix”, Jacques Martin nous dit qu'il s'est inspiré de l'histoire d'Antinoüs, telle que Marguerite Yourcenar la raconte dans “Mémoires d'Hadrien”. Je dois avouer qu'à part le fait que ces deux récits se passent sur le Nil, je ne leur ai trouvé aucun autre point commun, mais d'autres lecteurs ont peut-être fait preuve d'une plus grande perspicacité...
S.O.S. Météores
Cette idée de la destruction finale de Sakhara par une chute de météorites me semble parfaitement originale et certainement unique dans la littérature, du moins à ma connaissance. En effet, si de nombreuses cités ou ouvrages humains ont pu être détruits ou endommagés par des cataclysmes terrestres : éruptions volcaniques, séismes, cyclones, inondations, etc., il n’y a pas d’exemple, à l’époque historique, de ville détruite ou simplement affectée par des météorites.
Celles qui tombèrent en 1803 près de L’Aigle ( Orne ) conduisirent le physicien Biot, qui les examina, à reconnaître leur origine extra-terrestre, mettant ainsi fin à des millénaires de superstitions, malgré de nombreuses observations antérieures qui allaient aussi dans ce sens. Quant à celle qui tomba le 30 juin 1908 en Sibérie, on pense que ce devait être une petite comète, d’environ 50 m de diamètre, qui explosa et se désintégra avant de toucher le sol dans une région