Monocle a écrit:J'aurai une question sur la tactique utilisé par les légionnaires romains contre les hoplites dans le défilé. Même si les fantassins romains ont l'avantage de la mobilité, Il me semble que cela doit être difficile de manœuvrer dans un espace si étroit. Une formation de Hoplites devrait pouvoir faire bloc, empêcher tous débordement par les ailes et écraser ses adversaires. Ajax, notre grand spécialiste de l'histoire antique peut -il nous renseigner sur ce sujet?
Faut pas croire tout ce qu’on raconte dans les BD ! Quoique ici, les Romains gagnent quand même, l’honneur est sauf !
Moi j’aime bien la page 44 où l’on voit Alix enfoncer son arme en pleine poitrine de son adversaire, et même l’achever… par charité ! Trente ans plus tôt il n’aurait sans doute jamais fait ça, comme le rappelle Marc Jailloux dans Alix’mag à propos de PAR-DELA LE STYX (
https://lectraymond.forumactif.com/t1221p90-par-dela-le-styx#70406 )
On voit que maintenant Alix a mûri et cultive enfin les bonnes valeurs. La Guerre civile est passée par là ; cette guerre qu’il a vécue aux côtés d’Auguste et dont Valérie Mangin a déclaré ne pas vouloir revenir dessus.
License to kill, my Dear James ! Mais trêve de plaisanterie. Cet album est coupable de la même contradiction que celle commise par Zack Snyder dans
300. D’un côté Léonidas explique au difforme Ephialte que vu sa morphologie il n’a pas sa place dans la phalange, laquelle doit privilégier la cohésion. Plus loin, face aux Perses, au lieu de rester compacts et de foncer dans les ennemis tel un bélier hérissé de piques, ils se détachent les uns des autres et entreprennent des duels individuels. Eh bien, dans les DEMONS DE SPARTE, c’est pareil (p. 42, 1ère v.) !
En bonne règle, les hoplites doivent rester soudés à leurs voisins et combattre au coude à coude, en se couvrant mutuellement de leurs boucliers. Un mur de tuiles, poussant contre la ligne ennemie en brandissant les lances par-dessus. Et tenter d’égorger le type du 3e rang au défaut de la cuirasse, ou de lui trouer la tronche (les deux premiers adversaires sont trop près, vu la longueur de la lance). En somme, c’est comme une mêlée de rugby, mais en plus saignant…
Dans le combat hoplitique, l’expression « affreuse boucherie » prend tout son sens. Et il n’est même pas possible de s’éclipser : on y est serré comme devant l’entrée d’un grand magasin le jour d’ouverture des soldes.
Mais bon, soit. Les duels individuels, c’est plus esthétique, plus spectaculaire que ce que je viens de décrire. Je ne dis pas, dans un épisode Conan le barbare dessiné par Buscema…
Adoncque, 300 Spartiates chargent 50 Romains, qui commencent par lancer leurs
pila et en fauchent quelques uns en première ligne, ou neutralisent leurs
aspis (un bouclier transpercé par un
pilum est ingérable. Les légionnaires ont même une technique pour, en appuyant le pied sur la hampe traînant par terre, obliger l’adversaire à baisser sa garde). Dans la BD, les Romains ne sont toutefois pas assez nombreux pour arrêter les hoplites qui ont bizarrement perdu leur lance (du moins la plupart). Faudra m’expliquer ça. Enfin bon, soit…
Valérie & Thierry se sont sans doute rappelé la tactique d’Hannibal à Cannes : 50.000 Carthaginois contre 80.000 Romains. Le centre carthaginois recule… les Romains s’engouffrent dans le piège, les ailes puniques se rabattent sur eux. 50.000 Romains restent sur le carreau.
Ici Alix fait reculer son aile gauche, et sa droite se rabat sur le flanc spartiate.
Moi, j’y étais pas, mais à sa place j’aurais plutôt fait reculer ma droite pour faire volte-face sur le flanc droit exposé des hoplites (celui qui n’est pas couvert par le bouclier).
Reste que tout se règlera à l’épée, comme dans un film d’Errol Flynn. Je suis tout de même surpris de voir ces « Spartiates », qui ne sont pas manchots non plus, se laisser battre à 6 contre 1. Surtout qu’avec leurs jambières de bronze, la technique légionnaire qui consiste à se baisser pour, par-dessous le long
scutum, trancher le jarret de l’ennemi, sera inopérante. Mais comme disait l’autre, ce n’est qu’une BD, et la règle numéro un d’une BD c’est que le « bon » gagne, sauf si c’est utile au scénario qu’il soit fait prisonnier par le « méchant ».
AJAX a écrit:J’ai eu l’occasion de soupeser un
aspis de reconstitution, d’où que j’aie mis un (?) après le chiffre de 8 kg indiqué par Wiki. Me rappelle plus son poids exact, mais c’est incroyablement plus lourd qu’un
scutum, je vous assure…
Le camarade possesseur de l’
aspis koilè (« bouclier creux ») en question me précise : « Le mien est en bois : 10 kg pour le Grec contre 7/8 kg pour le
scutum romain. Recouvert de bronze, il ferait 15 kg. Mais surtout il se porte bras plié au travers d'un support
(porpax) et la main tient une corde qui fait le tour à l’intérieur
(antilabè). Contre les Romains ce n'est pas efficace ; en fait, ce n’est pas de la même époque, c'est un peu comme comparer des fusils à silex avec des mitrailleuses. »
L’hoplite grecCar en plus – oui – j’ai oublié de spécifier : si le
scutum romain se tient au bout du poing (ce qui permet de balancer le pilum d’un geste large ; le légionnaire en porte deux, le léger et le lourd), l’
aspis [improprement nommé l’
hoplon] se tient à la distance du bras (humerus). Avec l‘avant-bras solidaire de la face interne du bouclier, la possibilité de manœuvre est plus courte. Bien sûr, armé d’une lance et non d’un javelot ou
pilum (*), l’hoplite n’a pas les mêmes besoins de fluidité des mouvements.
Je rappelle encore que ces données valent pour la Grèce classique, pas pour la phalange macédonienne.
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(*) L’expérimentateur Brice Lopez – Acta Expérimentation – explique que le
pilum n’est pas à proprement parler un javelot. Le javelot se lance à une certaine distance en tir parabolique ; tandis que le
pilum, que l’on peut rendre en français par le mot « pilon », s’utilise à très courte portée (7 m – de mémoire !, car je n’ai plus le numéro sous la main) en tir tendu pour littéralement pilonner la première ligne ennemie en rendant inutilisables ses boucliers (Brice LOPEZ, « Le pilum est-il un javelot ? »,
Histoire antique et médiévale, n° 47, janvier-juillet, 2010).
Le phalangite macédonien D’une largeur de 60/75 cm, le bouclier du phalangite macédonien se porte accroché au cou et supplée à l’absence de cuirasse (sauf les officiers en première ligne). Mais si le soldat est donc relativement léger, sa sarisse de plus en plus longue (entre 5 m et 7,50 m, selon des époques(*)) l’immobilise dans le rang, où il est littéralement pris en sandwich.
Chaque phalangite est comme un piquant sur le dos d’un hérisson, et la phalange est impénétrable tant face à la cavalerie que face à l’infanterie ennemie. En bonne règle, le phalangite ne devrait même pas dégainer son sabre, la
machaera, le rouleau compresseur qu’est sa formation de combat n’étant pas censé se disloquer pour le duel individuel.
Chaque
syntagme (bataillon) de 256 h, se compose de files de 16 h, sur 16 de front, qui en ordre serré peuvent devenir des demi-files de 8 hommes, sur 32 de front. Les quatre premiers abaissent leur sarisse à la hauteur de l’adversaire ; les autres les tiennent inclinées par-dessus leurs camarades.
Ce qui ne paraît pas clair, c’est qu’il y aurait des espaces entre les
syntagmes, dans lesquels pourraient se répandre l’infanterie légère des peltastes (ou se tiennent-ils au deux extrémités de la phalange, sur le flanc droit et le gauche ?). Comme entre les manipules romains (= deux centuries). Alors donc la phalange serait plus souple qu’il n’y paraît, mais
quid du bloc monolithique qu’est supposé être la phalange ? Je n’ai pas de réponse, l’affaire n’est pas claire et me paraît hypothétique.
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(*) Au temps d’Alexandre : 5 m ; deux siècles plus tard (lors de la confrontation avec Rome) : 7,50 m.
Les peltastes (infanterie légère)À l’origine mercenaire recruté en Thrace, le peltaste est un voltigeur – un combattant d'infanterie légère. Armé d’un ou plusieurs javelots et d'une épée, il est coiffé d’un bonnet de cuir et se protège avec la peltè, un bouclier léger rond ou en forme de croissant (côté concave vers le haut) qui est fait d’osier sur une armature de bois et recouvert de peau de chèvre ou de mouton, parfois même de bronze poli. Il a été créé par l’Athénien Iphicrate au début du IVe s. On les verra triompher des lourds hoplites Spartiates à Sphactérie (425) et à Léchaion (390).
J'espère avoir réussi à esquisser les grands traits de la problématique. Et maintenant, engagez-vous... rengagez-vous... ?